Chère lectrice, Cher lecteur,
Je vous ai souvent parlé de Gabrielle Roy sur ce blogue… Pourquoi revenir à elle en juillet? Je tenais à vous dire pourquoi j’aime ses écrits… De Gabrielle Roy, ce qui soulève entre autres mon admiration, c’est son sens de l’observation… Je suis toujours charmée, étonnée par sa manière de nous transmettre sa vision des choses, des paysages, des êtres… Elle réussit à me parler du quotidien, à m’emporter ailleurs, à me décrire avec intelligence et émotion son monde. D’ailleurs, elle nous raconte dans La Détresse et l’enchantement que c’est à Paris, devant le jardin des Tuileries, qu’elle a reçu une révélation : elle possédait le don du regard. Et quel regard! À cette époque, elle n’était pas écrivaine, mais une institutrice en arrêt de travail pour aller suivre des cours d’arts dramatiques de l’autre côté de l’Atlantique.
Pourtant je ne peux oublier que c’est à Paris que je reçus la première révélation importante sur moi-même et qui ne devait jamais tout à fait s’effacer de ma mémoire. […] Ce que je ne peux oublier, c’est que ce fut très certainement le beau Jardin de Paris, illuminé comme par un soleil venu droit de mes Prairies, qui illumina en moi-même le don du regard, que je ne me connaissais pas encore véritablement, et l’infinie nostalgie de savoir un jour en faire quelque chose. (p. 283 et 286)
Je vais vous parler de mon admiration pour elle à travers les bouquins lus en abordant le thème du regard…
La détresse et l’enchantement
Je débute par le dernier écrit de Gabrielle Roy. Ce livre est structuré autour des volets suivants :
- Le bal chez le gouverneur;
- Un oiseau tombé du ciel.
Le lecteur suit le parcours de l’écrivaine, de son enfance au Manitoba en passant par son séjour de deux ans en Europe à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, pour se terminer à Montréal, peu avant la publication de Bonheur d’occasion. Dans cette autobiographie, Gabrielle Roy nous relate ce qui l’a menée à l’écriture…elle nous dévoile sa quête… son désir de comprendre qui elle est, d’où elle est partie pour nous amener à déchiffrer encore plus ses univers… Pour moi, cette autobiographie s’avère magnifique puisqu’elle nous fait constamment osciller entre la détresse et l’enchantement à travers le regard de cette grande écrivaine. Par exemple, elle nous révèle le sentiment l’habitant à la suite de la rencontre avec son premier amour Stephen, un espion ukrainien. C’est un regard puissant sur soi, sur ses émotions qu’elle nous transmet…
Plus tard, quand je fus à même d’analyser quelque peu ce qui nous était arrivé, j’ai pensé que nous avions été, Stephen et moi, comme ces papillons, ces phalènes, ces mille créatures de l’air que des ruses de la nature, une odeur, des ondes, mènent à leur rencontre sans qu’elles y soient pour rien. Et je me demande si la foudroyante attirance que nous avons subie, de tous les malentendus, de tous les pièges de la vie, n’est pas l’un des plus cruels. À cause de lui, après que j’en fus sortie, j’ai gardé pour longtemps, peut-être pour toujours, de l’effroi envers ce que l’on appelle l’amour. (p. 348)
Comment ne pas être interpellé devant une telle plume? Un tel talent pour nous communiquer sa perception? C’est pour cela que j’admire son écriture… Il faut lire ce bouquin et se représenter les quartiers de Londres, de Paris, et se laisser charmer par la Provence car son séjour représente pour cette dernière un temps heureux…
Je me rappelle seulement que nous buvions et mangions avec goût tout en regardant défiler sous nos yeux le jardin continu de la Côte d’Azur. J’étais enivrée par le gracieux rivage, ses anses, ses calanques, ses petits ports de pêche et surtout par la clarté du ciel que je voyais répandue comme je ne l’avais encore vue nulle part ailleurs aussi éclatante et abondante. Je sentais mon cœur de minute en minute s’éprendre d’un tel amour de cette terre qu’il envahirait toute ma vie. (p. 463)
Et il faut se rendre à la toute fin pour encore une fois se laisser subjuguer par son regard et le comprendre. Elle écoute le son des trains dans le quartier Saint-Henri à Montréal, lieu de son roman Bonheur d’occasion qui a été publié en 1945.
Toute cette atmosphère de départ et de voyage que je trouvai dès ce soir-là à Montréal était bien de nature à me retenir, car longtemps elle constitua ma seule patrie, me consolant en quelque sorte de n’en avoir pas d’autre, me soufflant que nous ne sommes jamais que des errants et qu’il est mieux de ne rien posséder si l’on veut du moins bien voir le monde que nous traversons en passant. (p. 502-503).
Je vous recommande certainement cette lecture… vous allez faire un beau voyage au cœur d’un être qui s’est développé entre la détresse et l’enchantement… en posant un regard sur elle et sur le monde l’entourant…
Bonheur d’occasion
Ma première lecture de ce roman remonte à mes années au secondaire. Comme je n’aimais pas le livre obligatoire proposé par mon professeure de français, cette dernière m’avait suggéré de lui faire un résumé de Bonheur d’occasion. Je me souviens qu’à l’époque, le film m’avait beaucoup marquée. J’en avais parlé avec mon père qui m’avait amenée voir le chalet de l’illustre écrivaine situé à Petite-Rivière-Saint-François, pas très loin de la maison de ma grand-mère maternelle. Nous devions être en 1985 ou quelque chose comme ça. Le film est sorti en 1983 l’année du décès de Gabrielle Roy.
Ce livre met en scène Florentine Lacasse, 19 ans, une serveuse, travaillant au Quinze-Cents, dans le quartier défavorisé de Saint-Henri à Montréal. Elle souhaite trouver le bonheur au moment où le chômage frappe de plein fouet et que la guerre devient la seule porte de sortie. Elle est amoureuse de Jean Lévesque, mais elle est aimée par Emmanuel Létourneau, un soldat. Le lecteur suit également le destin des parents de Florentine, Rose-Anna et Azarius, dont la vie est marquée par la pauvreté et le lecteur est amené à comprendre les raisons associées à leurs malchances. C’est un roman criant de réalisme, rempli de sentiments, de misère, d’attente, de rêves… Mais avant tout, c’est Saint-Henri qui vit grâce à la plume de Gabrielle Roy et qui brille grâce à son sens de l’observation.
Ainsi, il faut suivre Rose-Anna, la mère de Florentine dans le quartier pour trouver un logis pour sa famille. Ils ne sont plus capables de payer le loyer, alors ils doivent déménager comme bien d’autres familles à cette époque.
Elle arriva place Saint-Henri; elle la traversa pour une fois sans souci de trams, de la sonnerie du chemin de fer et de l’âpre fumée qui alourdissait ses paupières. Un camion la frôla, et elle leva un regard plutôt étonné qu’effrayé. […]
À pas moins sûrs, moins courageux, elle s’engagea vers les endroits les plus misérables, derrière la gare de Saint-Henri.
Bientôt, elle arriva dans la rue Workman, qui porte bien son nom. «Travaille, ouvrier, dit-elle, épuise-toi, peine, vis dans la crasse et dans la laideur».
Rose-Anna s’aventura au long des taudis de briques grises qui forment une longue muraille avec des fenêtres et des portes identiques, percées à intervalles réguliers. (p. 99-100).
Gabrielle Roy a obtenu le prix Femina en 1947 pour ce roman et le Prix du Gouverneur général.
Voici un extrait du film accompagné d’une très belle chanson de Diane Tell (cette chanson était aussi présente dans le film).
Ce bouquin fait partie de la liste de mes coups de cœur québécois!
Alexandre Chenevert
C’est sans aucun le roman de Gabrielle Roy devant lequel je suis le plus en admiration. Dans ce dernier, Gabrielle Roy nous brosse le portrait d’Alexandre Chenevert, un caissier dans une banque. Je vais vous retranscrire le résumé du livre car il apparaît si juste…
Alexandre Chenevert est considéré par beaucoup comme le meilleur roman de Gabrielle Roy. Publié pour la première fois en 1954, traduit peu après en anglais et en allemand, c’est l’histoire dans le Montréal de la fin des années quarante, d’un petit caissier de banque qui tente passionnément d’attacher son propre salut à celui de l’humanité entière. Déchiré entre l’humilité de sa condition et l’angoisse de la solidarité universelle, rongé par la maladie, hanté par le désir d’un paradis, Alexandre, de la ville nombreuse, à la campagne solitaire, cherche désespérément le sens de sa vie, pour le trouver finalement dans une sorte de sainteté tout humaine.
Je pense souvent à cet Alexandre… car nous sommes tous affligés par le sort de l’humanité et nous tentons de comprendre, tout comme lui, le sens de la vie… C’est ce regard sur ce sens construit au fil des pages qui s’avère touchant, vrai, humble… et que j’admire…
Et c’est à prendre ses dispositions dernières, comme on dit, qu’Alexandre aperçut le bon sens, la parfaite dignité de la mort. Et dès lors, c’est la vie d’ici-bas qu’il plaignit, pauvre vie soucieuse de décorum! Il pensait avec pitié aux autres qui devraient continuer à courir après leur tram, arriver au bureau à l’heure, habiter un appartement trop chaud l’été, point assez chauffé l’hiver, acheter un frigidaire, prendre de petites vacances à leur tour et, quand c’était fini, échouer dans un salon mortuaire. […]
Cependant, ses affaires réglées, il se trouva sincèrement allégé, libre, disponible comme jamais il ne l’avait été.
Et, ainsi, le pauvre homme reprit goût à la vie. (p. 367-368)
Un roman à lire, à relire pour s’abreuver à travers le regard de Gabrielle Roy, du sens, peut-être, de l’existence…
Cet été qui chantait
Gabrielle Roy a rédigé ce recueil de nouvelles à la suite de la mort de sa sœur Bernadette. D’ailleurs, elle dira : «J’aurais moins connu Dédette peu avant sa mort que j’en aurais eu moins de peine – pourtant c’est une peine dont pour rien au monde je ne voudrais avoir été privée.» (La Détresse et l’enchantement, p. 159).
Ce livre, je l’aime d’un amour profond car il me parle de la région de mon enfance. Il me fait voir grâce aux mots de l’écrivaine la beauté de la nature charlevoisienne; cette beauté a façonné ma personnalité, a bercé mes rêves, a illuminé mon regard…
De surcroît, ce livre nous fait comprendre la fragilité de la vie, nous ramène à l’essentiel… c’est une conversation avec la vie, avec la mort, que l’on entretient avec les personnages l’espace de quelques nouvelles.
Martine ne bougeait plus. À ses pieds se défaisait un friselis de vagues dans un tendre chuchotement. Autour d’elle dans sa jupe noire, tout était bleu aujourd’hui; bleue l’eau jusqu’au plus lointain; bleue la ligne des collines étagées du côté des Éboulements; bleue l’ombre de l’Ile aux Coudres tout juste apparaissait au ras du fleuve. (p. 156).
Un bouquin pour se questionner, pour apprendre à chanter, pour redécouvrir comme il est mentionné sur la quatrième de couverture : «L’éblouissante révélation de toutes choses…».
N’hésitez pas à regarder la vidéo suivante réalisée par M. Robert Benoit. Vous allez voir le chalet de Gabrielle Roy à Petite-Rivière-Saint-François et la beauté du fleuve Saint-Laurent dans Charlevoix.
Ces enfants de ma vie
Par le biais de cet écrit, Gabrielle Roy nous partage le portrait d’élèves lorsqu’elle était institutrice. Son amour pour l’enseignement et pour les enfants transperce les pages… Par ailleurs, ce sont les descriptions des enfants qui soulèvent mon admiration. Elle a observé ses élèves et elle nous transmet de bien beaux portraits d’eux…
Tout à coup, au milieu de l’allée lumineuse, sa tête noire découpée dans du soleil comme un visage d’icône dans son nimbe doré, surgit un petit garçon, à ma vue à ce point saisi qu’il demeura figé sur place. À ne pouvoir s’y méprendre, même s’il n’eût pas été vêtu d’un pull rouge, c’était un Demetrioff. Les yeux noirs et plissés, les pommettes saillantes, les oreilles décollées, il était le portrait de tous ceux que j’avais pu voir dans la cour d’école, en plus malingre encore, en plus souffreteux, en plus craintif peut-être. (p. 75)
Gabrielle Roy a obtenu son troisième prix du Gouverneur général du Canada en 1978 grâce à ce livre.
Un jardin au bout du monde
Gabrielle Roy, dans ce recueil, nous mentionne dans la préface :
De même, Un jardin au bout du monde est né de la vision que je saisis un jour, en passant d’un jardin plein de fleurs à la limite des terres défrichées, et de la femme y travaillant, sous le vent, en fichu de tête, qui leva vers moi le visage pour me suivre d’un long regard perplexe et suppliant que je n’ai cessé de revoir et qui n’a cessé, pendant des années, jusqu’à ce que j’obtempère, de me demander ce que tous nous demandons peut-être du fond de notre silence :
Raconte ma vie.
Pour cette vision qu’elle nous dévoile au fil des pages, il faut aller à la rencontre des oubliés de ce monde et les écouter, les comprendre, les bercer…
L’aspirine en tout cas la soulageait un peu. Dans ce peu de bien-être, ses pensées, comme déjà libérées, s’élevaient, s’en allaient dans le passé rejoindre un air de musique lointaine. Un air qui avait trait à l’été- toujours donc l’été, saison de la vie, saison du cœur- qui exaltait la chaleur, les cerisiers en fleurs et parlait aussi de jeunes hommes et de jeunes filles réunis pour danser sur l’herbe d’un pré autour d’un arbre isolé. Ainsi, par quelques bribes de mélodie que retrouvait son souvenir, par quelques paroles lui revenant à l’esprit, elle se sentait rejointe mystérieusement par une âme inconnue d’elle, dont la nostalgique tendresse était toute vivante encore dans ce vieux chant d’Ukraine. L’immortalité, était-ce donc vrai? (p. 168).
Donc, voici la présentation de mon écrivaine pour le mois de juillet à travers le thème du regard. J’espère vous avoir donné le goût de plonger dans un univers de Gabrielle Roy et d’observer la beauté de la vie à travers ses yeux…
N’oubliez pas! Nina du blog Le Rest’o Littéraire présente également des auteurs à chaque mois! Pour août, elle met à l’honneur le grand Paulo Coelho! Alors, n’hésitez pas à aller visiter son blog!
Que pensez-vous de cette présentation pour le mois de juillet?
Bien à vous,
Madame lit
Un bel article. J’aime beaucoup cette exploration thématique !
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Merci à toi!!!
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Nat, j’ai à la maison « Bonheur d’occasion », cadeau de papa qui m’a donné tous ses bouquins. Ce livre je l’ai depuis des années! Enfant et adolescente il était à la maison. Je viens de vérifier… Il est bien là… Je vais le lire! Merci! En plus c’est un très beau livre relié!!!
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Chanceuse alors! Connaissais-tu le film? Il est vieux mais excellent pour voir Montréal et son Saint-Henri…
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Je ne sais pas Nat. Peut-être l’ai-je vu ?
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Peut-être… À vérifier! 🙂
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