Chère lectrice, Cher lecteur,
La porte de Magda Szabó, publié par les Éditions Viviane Hamy en français en 2003, présente l’histoire d’amitié entre Emerence, une domestique célibataire assez âgée et une jeune écrivaine mariée, dans une Hongrie communiste. Récit à essence autobiographique, l’écrivaine raconte les tranches de la vie de celle qui régnera en souveraine sur son couple, qui s’occupera de sa maison, de son chien Viola, de ses repas, de sa lessive pendant vingt ans. Elle dresse le portrait d’une femme forte, insaisissable, intransigeante, indépendante mais d’une humanité rarement égalée. C’est toute la singularité de cet être qui éclate à chaque page.
Emerence Szeredás est aussi concierge. Elle veille à l’entretien d’immeubles et elle doit même enlever la neige à grands coups de balai malgré son âge car cette tâche fait partie de son contrat.
L’écrivaine découvre, au fil du temps, les secrets de sa domestique. Elle relate ainsi le parcours d’Emerence, enfant qui a vu mourir son père, sa mère, son frère et sa sœur, ensuite, elle a été placée très tôt en tant que domestique par son grand-père dans une famille. Elle arrive chez les Grossmann, des Juifs, peu avant la Deuxième Guerre mondiale. Cette dernière éclate et Emerence fera passer pour sienne la fille du couple afin de lui éviter la mort. Elle obtiendra quelque chose de cette famille qu’elle gardera derrière une porte dans sa demeure. Mais quoi?
Grande amoureuse des animaux, Emerence les recueille dans les rues. Ce sont souvent des chats mal aimés et elle les garde enfermés dans sa demeure pour les soustraire à la souffrance, à la mort. Elle éduquera le chien (Viola) de la romancière qui lui vouera un amour inconditionnel.
La maladie frappe Emerence et elle est forcée de quitter son domicile. Qui s’occupera de sa maison et de ses chats alors qu’elle interdit à quiconque de franchir sa porte? Qui veillera sur elle alors qu’elle incapable de marcher? Que cache-t-elle dans sa demeure? Le mystère plane et c’est captivant.
Il faut lire ce roman dont l’amour absolu entre deux femmes se tisse au fil des pages. Un amour entre deux êtres qui ne le comprennent pas tout à fait, qui ont de la difficulté à l’exprimer, à le démontrer, à le nommer. Tout les oppose. L’une est une femme de mots, l’autre est illettrée. L’une observe, l’autre agit. Autant de différences pour unir ces femmes pendant vingt ans dans une relation d’amitié passionnelle, démesurée. C’est cet amour incompréhensible qui m’a tenue en haleine, qui m’a bouleversée, qui m’a ouvert la porte d’une intériorité douloureuse, marquante, dérangeante. Voici comment Emerence, par gratitude, efface la saleté de celle qu’elle aime plus que tout. Elle croit qu’elle a échappé à la honte et elle pense que ses animaux sont en sécurité grâce à l’écrivaine.
Elle examina mes doigts en détail et dit :
-Toutes ces saletés puantes? La crasse et la pourriture? Avec cette main qui ne sait rien faire? Et toute seule, pour que personne ne vous voie? La nuit?
Je détournai la tête, ne supportant plus son regard. Alors, vint le moment le plus décisif, le plus bouleversant de ma vie, elle ouvrit la bouche et happa mes doigts entre ses gencives édentées. Si quelqu’un nous avait vues, il aurait pensé que nous étions des perverses ou des folles, seulement je savais ce que cela signifiait, parfois Viola n’avait pas d’autres moyens de nous faire comprendre quelque chose, je connaissais ce mordillement, ce langage canin exprimant l’extase et le bonheur sans limite. (p. 240)
J’ai été très émue tout au long de ce roman par cette histoire nous offrant une dualité entre la force de vivre et celle qu’il faut développer pour laisser l’autre ouvrir la porte de l’éternité.
Un livre à savourer pour tout ça, pour cette touchante confession d’une écrivaine voulant rendre un ultime hommage à cet être de l’excès qui a vécu à ses côtés. C’est ce qu’elle pouvait faire de mieux car elle savait manier les mots, créer des univers. Emerence est maintenant une légende. Elle est nommée à travers tous les temps.
Elle était un exemple pour tout le monde, elle aidait chacun, la poche de son tablier amidonné livrait des bonbons enveloppés dans du papier, des mouchoirs de toile immaculée qui s’envolaient en bruissant comme des colombes, elle était la reine de la neige, la sécurité, la première cerise de l’été, la première châtaigne sortant de sa bogue à l’automne, les citrouilles resplendissantes de l’hiver, au printemps, le premier bourgeon de la haie : Emerence était pure, invulnérable. Elle était le meilleur de nous-mêmes, celle que nous aurions aimé être. (p. 214)
Daniel Pennac a qualifié ce roman de chef d’œuvre. Lors du 29e Salon du livre, Le Parisien a recueilli les commentaires d’auteurs suite à sa question : «Et s’ils n’avaient qu’un seul livre à conseiller ?» Voici la réponse de Pennac : La porte de Magda Szabó.
C’est un bouquin qui m’a absolument bouleversé. Je ne connaissais rien de l’auteur et un jour, en entrant dans une librairie, je l’ai ouvert sans même avoir regardé la quatrième de couverture. Quand je l’ai lu, j’ai trouvé ça extraordinaire (NDLR : Ed. Viviane Hamy). Et pour citer un roman plus récent, je tiens absolument à dire que je trouve le dernier livre de Philippe Djian (NDLR : «Impardonnable » Ed. Gallimard) formidable.
Que dire de plus? J’ai encore plus apprécié ce roman qu’Abigaël (le roman inédit de Szabó). J’espère vous avoir donné le goût d’ouvrir La porte!
Ce livre a été lu dans le cadre de mon défi Madame lit des livres du monde. En mars, la littérature hongroise est à l’honneur.
Avez-vous lu La porte? Avez-vous l’intention de plonger dans ce récit?
Bien à vous,
Madame lit
Pennac, D. (2009, 13 mars). Ces auteurs vous conseillent. Le Parisien. Récupéré de http://www.leparisien.fr/loisirs-et-spectacles/ces-auteurs-vous-conseillent-leur-coup-de-coeur-13-03-2009-440745.php
SZABÓ, Magda, La porte, traduit du hongrois par Chantal Philippe, Paris, Viviane Hamy, 2003, 276 p.
ISBN 2-87858-183-0
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Superbe critique pour un livre que je compte lire très prochainement…
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Merci Goran! Je lirai tes impressions (si jamais tu rédiges une chronique) avec plaisir! 🙂
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Il ne me reste que quelques pages à lire pour compléter la lecture de ce roman.
Ton résumé du livre j’aime bien. On y découvre l’essentiel d’un roman pas facile à résumer.
Ce que je retiens surtout sont les lignes suivantes : « un roman dont l’amour absolu entre deux femmes se tisse au fil des pages. Un amour entre deux êtres qui ne le comprennent pas tout à fait… »
Il me semble qu’il faut avoir ces mots en tête en abordant cette grande oeuvre tellement émouvante spécialement dans les derniers chapitres.
Merci de nous avoir fait découvrir un tel livre!
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Merci à toi d’avoir lu ce livre en même temps que moi. Je vais me souvenir longtemps de cette Emerence tant elle est un personnage fort, un être de l’excès, un mystère couché sur le papier… Je les aime profondément ces personnages malgré leurs défauts et leurs imperfections. Merci pour ce commentaire! Je l’apprécie beaucoup! Au plaisir.
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Great, cela donne envie, je note
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Merci! 🙂
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Tu parles vraiment très bien de ce livre. On ne peut que le lire.
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Merci beaucoup! C’est vraiment gentil et c’est une très belle lecture!
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En lisant ta chronique je me rends compte que ce qui m’a un peu déplu dans ce livre est l’intransigeance d’Emerence….
Contente qu’il t’ait enthousiasmée ce livre 🙂
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Oui, l’intransigeance d’Emerence… je l’ai soulevée dans ce billet. J’ai beaucoup aimé cette histoire aussi pour l’intransigeance. On la comprend et on la respecte… Merci! 🙂
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Merci de m’avoir suggéré ce livre ! Je suis entré dans la littérature hongroise par La Porte !
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Bien contente! Et quelle belle entrée! 🙂
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Joli billet, je suis contente que tu aies découvert cette auteure et que tu l’apprécies.
Bonne fin de semaine !
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Merci à toi! Bonne fin de semaine également!
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Je remarque que je n’ai pas commenté…pourtant.
Tu as l’art de résumer, de détailler, de faire le tour de citer, d’analyser, de donner ton avis, de mettre le doigt sur les forces. Juste assez, pas trop.
Vraiment, si je ne l’avais pas lu, bien sûr, une fois de plus, tu aurais réussi à me convaincre de le lire.
Juste que ça me tente moins de lire Abigaël!
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Oui, il y a d’autres livres de cette écrivaine que j’aimerais lire comme Rue Katalin et La ballade d’Iza… Merci pour ce commentaire, je l’apprécie beaucoup! Bonne lecture avec Abigaël!
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