Chère lectrice, Cher lecteur,
Publié par Gallimard en 2017, Patricia de Geneviève Damas raconte l’histoire de Jean, de Patricia et de Vanessa. Tout d’abord, Jean Iritimbi Zuma, un Africain de Kembé, est à Niagara Falls, au Canada. Il a fui son pays pour vivre de meilleurs jours en sol canadien. Il a laissé sa femme, Christine, et ses deux filles, Myriam et Vanessa, derrière lui en leur promettant de les faire venir dès qu’il obtiendrait sa citoyenneté canadienne. La citoyenneté ne viendra pas, donc il apparaît comme un sans papier. Il réussit tout de même à trouver un travail au noir, au Niagara Falls hotel. Il y fait la rencontre de Patricia, une Parisienne blanche, venue jeter les cendres de sa mère dans les chutes Niagara. La femme tombe amoureuse de lui et vole le passeport d’un homme lui ressemblant pour l’amener avec elle à Paris. Arrivé en terre française, sa femme Christine lui annonce qu’après dix ans de séparation, elle souhaite le retrouver et qu’elle a transigé avec un passeur pour que les filles et elle puissent venir en Europe. Les trois Africaines embarquent alors sur un bateau d’immigrants illégaux et traversent la mer pour arriver à Marseille. Cependant, un malheur frappe, le bateau fait naufrage. Jean ira jusqu’en Italie pour tenter de retrouver les siennes. Patricia, de son côté, le rejoindra pour tenter de comprendre l’homme qu’elle aime.
Comment trouver les mots pour parler d’une histoire magnifique? Comment vous dire à quel point j’ai été touchée par le drame frappant ces immigrants illégaux? Ce roman est polyphonique ce qui permet de créer un lien intime avec les personnages. Premièrement, le lecteur entre en contact avec Jean par le biais de sa confession à Patricia. C’est superbement écrit; c’est rempli de poésie et j’adore ce type de phrases.
Je ne pouvais vous appartenir, Patricia. Je n’appartenais à personne. Pas même à moi. J’aurais dû commencer par là quand nous nous sommes rencontrés. Mais j’avais peur, peur de tout, peur de vous perdre, peur de laisser passer ma chance. Souvent, la vie ne vous en donne qu’une. (p. 12)
Jean relate son parcours de Kembé, en passant par Niagara Falls, en allant ensuite à Paris et en aboutissant à Montanezza, en Italie. Jean raconte son histoire à Patricia tout en la vouvoyant, signe de respect, signe de distance. Il lui parle de sa solitude, de ses difficultés, de Christine, de Myriam et Vanessa, de sa vie en Afrique, des sentiments qu’il ressent pour elle. Par le biais de son monologue, le lecteur vit son drame : la perte de sa famille. C’est terriblement touchant. C’est le triste sort de bien des gens cherchant à s’établir dans un ailleurs meilleur.
La deuxième voix, c’est celle de Patricia, cette Française assez aisée qui est tombée amoureuse de Jean et qui accepte de s’occuper de Vanessa, la seule fille de Jean ayant survécu au naufrage. Patricia, c’est un être bon. C’est quelqu’un qui donne sans réserve. Elle est remplie d’humanisme et elle ressent de la compassion pour son prochain. Dans son monologue, elle s’adresse à Vanessa pour créer un contact avec elle, pour tenter de briser l’étau dans lequel l’enfant s’est réfugié. Elle meuble le silence durant leur voyage en auto pour revenir à Paris.
Au début, il paraît supportable, mais au bout de quelques minutes ton silence s’abat sur moi comme un orage. Et je n’entends plus que lui dans cette voiture. Est-ce une décision, ta manière de marquer ton refus face à ce qui arrive ou au contraire, le signe de l’impossibilité, la trace tangible de la violence que tu as traversée? Je ne sais ce qui serait mieux pour nous, pour la vie que nous allons mener. (p. 61)
La troisième voix, c’est celle de Vanessa, cette fillette qui a vécu un traumatisme, qui a vu mourir celles qu’elle aimait plus que tout. Elle s’adresse à Patricia pour lui faire comprendre son silence, pour apprivoiser sa nouvelle existence, pour palier la perte une fois de plus de son père parti chercher ses mortes.
[…] et toi qui m’as ramenée dans ton pays, tu ne seras jamais ma mère, celle qui m’a portée et m’a donné le jour, je ne dois pas avoir peur de cela, tu continues, c’est cela, tu continues en dépit de tout- ma colère, ma violence et mon désespoir-, tu poursuis l’amour de ma mère et peut-être est-ce cela qui la rend si vivante à mes yeux et dans mon cœur, parce que c’est trop dur à douze ans de vivre sans sa maman, à douze comme à seize, de la voir sans cesse disparaître au fond de l’eau , et, moi, je ne serai jamais ton enfant, jamais celui que tu as espéré, qu’aucun homme ne t’a donné, pas même mon père, mais peut-être que je te permets de vivre cet amour-là, ce souci-là, parce que c’est trop dur de rentrer dans un appartement vide, dans cette grande ville anonyme, si personne n’a besoin de toi. (p. 129-130)
Patricia, c’est un drame qui déroule sous nos yeux. C’est poignant. Je suis émue par cette histoire. Tant de beauté dans la souffrance. Geneviève Damas réussit avec brio à donner une voix à ces êtres marqués par notre incapacité à vivre en harmonie sur cette planète. Cependant, une lueur, à la fin, s’infiltre dans le cœur des personnages féminins.
Je vous recommande de lire ce petit bouquin. Je suis charmée par la plume de Geneviève Damas, cette écrivaine belge qui a reçu le prix Victor Rossel et le prix des Cinq continents pour son roman Si tu passes la rivière. Patricia va rester longtemps dans ma mémoire.
C’était mon deuxième roman lu dans le cadre de mon mois consacré aux bouquins belges.
Que pensez-vous de mon billet sur Patricia?
Bien à vous,
Madame lit
DAMAS, Geneviève, Patricia, Paris, Gallimard, 2017, 133 p.
ISBN 978-2-07-273179-2
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Quel merveilleux roman émouvant et touchant écrit dans un style merveilleux! L’amour qui jaillit de ces pages m’a beaucoup marqué.
Et que dire de cette merveilleuse remarque de Vanessa dans les dernières pages du roman : « …tu poursuis l’amour de ma mère et peut-être est-ce cela qui la rend si vivante à mes yeux et dans mon coeur. »
Un roman à lire pour découvrir ce type d’amour entre autres!
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Merci beaucoup… Je crois que nous avons tous les deux été très émus par cette lecture. Quelle belle lecture et quelle joie d’avoir découvert la plume de Geneviève Damas!
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D’abord bravo pour le nouveau look. Petites suggestions via courriel.
Quant au livre, ce sera pour cet été, sans doute.
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Merci!!!
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Ce dessin est encore meilleur 🙂 Bravo !
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Merci! C’est vraiment gentil. Il y en a du temps consacré à ce design… Parfois, on doute…
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Ce livre a l’air bien émouvant. De par mon travail, aidant quelques réfugiés à surmonter leurs traumatismes, je crois qu’il tombe à point. Ils ont beaucoup de difficultés à évoquer leurs peurs, leurs difficultés et banalisent un peu toutes les épreuves qu’ils ont traversées et face auxquelles je n’imagine même pas comment j’aurais survécu. Merci pour cette découverte.
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Je te félicite alors pour ton travail auprès des réfugiés. Comme toi, je ne peux imaginer comment ils peuvent survivre à tant d’épreuves… dans ce livre, l’amour, la persévérance et l’attachement viennent apaiser un peu leurs souffrances. Merci à toi.
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Je ne connaissais ni l’auteur, ni le livre, mais j’aime beaucoup les passages que vous citez et la lucidité des narrateurs envers leurs propres (terribles) situations qu’elle suggere.
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C’est une observation très juste en fonction des citations. Merci!
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Je ne connaissais pas. Je note!
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D’accord! 🙂
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Celui-ci m’attend, je n’ai pas encore osé le sortir de la PAL. Pour la fin de ce mois belge, j’ouvre seulement le deuxième roman de Geneviève Damas…
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J’ai adoré ce roman… au plaisir de lire ta chronique sur le deuxième roman de Damas!
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