Chère lectrice, Cher lecteur,
En ce mois sous le signe de la poésie pour le Défi 2019 de Madame lit, permettez-moi de partager avec vous deux magnifiques poèmes d’Alain Grandbois (1900-1974). Ce poète a fortement marqué le paysage poétique québécois en raison de ses écrits ouverts sur le monde, son lyrisme, sa rhétorique, ses thématiques abordant, entre autres, la magie de l’amour contre la mort. Poète, grand voyageur, écrivain, son oeuvre a été couronnée de nombreux prix.
- 1950 – Prix Ludger-Duvernay
- 1954 – Médaille Lorne Pierce
- 1963 – Prix Québec-Paris, Poèmes
- 1964 – Prix Molson
- 1967 – Compagnon de l’Ordre du Canada
- 1969 – Prix Athanase-David
- Membre de l’Académie des lettres du Québec ( Source : Wikipédia ).
Avec ta robe
Avec ta robe sur le rocher comme une aile blanche
Des gouttes au creux de ta main comme une blessure fraîche
Et toi riant la tête renversée comme un enfant seul
Avec tes pieds faibles et nus sur la dure force du rocher
Et tes bras qui t’entourent d’éclairs nonchalants
Et ton genou rond comme l’île de mon enfance
Avec tes jeunes seins qu’un chant muet soulève
pour une vaine allégresse
Et les courbes de ton corps plongeant toutes
vers ton frêle secret
Et ce pur mystère que ton sang guette pour des nuits futures
Ô toi pareille à un rêve déjà perdu
Ô toi pareille à une fiancée déjà morte
Ô toi mortel instant de l’éternel fleuve
Laisse-moi seulement fermer mes yeux
Laisse-moi seulement poser les paumes de mes mains
sur mes paupières
Laisse-moi ne plus te voir
Pour ne pas voir dans l’épaisseur des ombres
Lentement s’entr’ouvrir et tourner
Les lourdes portes de l’oubli
Il y avait les palais noirs…
Il y avait les palais noirs et les hautes montagnes sacrées
Il y avait ces trop belles femmes au front trop marqué de
rubis
Il y avait les fleuves avant-coureurs de la fin du Monde
Il y avait la pourriture la moisissure et cette chose qui ne
s’exprime pas
Il y avait ces mauvaises odeurs les excréments des êtres
Il y avait trop de dieux
Bien à vous,
Madame lit

Cet article contient des liens d’affiliation grâce à un partenariat avec la coopérative des Librairies indépendantes du Québec. Vous pouvez commander les recueils d’Alain Grandbois par le biais du site Web des Libraires grâce à un lien sécurisé.
Merci pour la découverte ! Magnifiques poèmes ! Dommage que les poètes québécois soient si méconnus en France.
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Merci! Je vais tenter de vous en faire découvrir durant ce mois!
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Chouette 🙂 C’est très alléchant !
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Merci! 🙂
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Très beau ! Je ne connaissais pas même de nom.
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Je suis très heureuse alors de faire découvrir ce grand poète de chez nous!
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Merci !
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Dans mon essai «Ouvrir une porte sur dix grandes œuvres de la poésie québécoise du XXe siècle», je consacre un essai d’interprétation à ce recueil extraordinaire. Le livre est publié aux Éditions du Noroît en 2015.
http://test.lenoroit.com/wordpress/paradis-claude/
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Merci beaucoup pour cette référence. Je l’apprécie énormément!
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Le poème «Avec ta robe» vaut vraiment le détour! Dans l’essai que j’ai évoqué, je m’attache plus longuement à ce poème. J’en reproduis une partie:
Je retranscris le magnifique poème d’amour « Avec ta robe », dans lequel nous pouvons aisément percevoir que le désir de la chair l’emporte sur le besoin de fidélité. [Dans mon livre je mets] en évidence les nombreuses allitérations du poème [pour] souligner les images étonnantes, métaphores, antithèses et oxymores qui confèrent à ce poème un caractère unique :
Avec ta robe sur le rocher comme une aile blanche
Des gouttes au creux de ta main comme une blessure fraîche
Et toi riant la tête renversée comme un enfant seul
Avec tes pieds faibles et nus sur la dure force du rocher
Et tes bras qui t’entourent d’éclairs nonchalants
Et ton genou rond comme l’île de mon enfance
Avec tes jeunes seins qu’un chant muet soulève pour une vaine allégresse
Et les courbes de ton corps plongeant toutes vers ton frêle secret
Et ce pur mystère que ton sang guette pour des nuits futures
Ô toi pareille à un rêve déjà perdu
Ô toi pareille à une fiancée déjà morte
Ô toi mortel instant de l’éternel fleuve
Laisse-moi seulement fermer mes yeux
Laisse-moi seulement poser les paumes de mes mains sur mes paupières
Laisse-moi ne plus te voir
Pour ne pas voir dans l’épaisseur des ombres
Lentement s’entr’ouvrir et tourner
Les lourdes portes de l’oubli
La description que Grandbois fait de la femme conduit notre regard vers son « frêle secret », son sexe, que le « sang guette » (chaque mois). Le poète joue beaucoup avec les images de contrastes : les mots « robe » et « rocher », en plus de répéter les mêmes sonorités grâce aux allitérations, opposent la souplesse du tissu à la dureté du roc ; plus loin la « blessure fraîche » suggère la fraîcheur autant que le fait d’être fraîchement survenue ; la faiblesse et la nudité des pieds s’opposent à « la dure force du rocher » (qu’appuie à merveille l’allitération de « r ») ; le poète osant même un oxymore en alliant les « éclairs », habituellement vifs et brefs, à la « nonchalan[ce] », qualité qu’on préfère attribuer à la chair… Ce poème est un parfait bijou. Le poète qui évoquait plutôt [dans un autre poème] « l’éternel instant » de l’amour présente ici une image qui apparaît un véritable diamant : « Ô toi mortel instant de l’éternel fleuve ». L’étrange beauté des contrastes met véritablement en valeur la fragilité du sentiment amoureux tel que le conçoit Alain Grandbois. Nous voyons dans la dernière strophe que le poète ne veut pas demeurer longtemps dans les bras de celle qu’il désire puisqu’il demande à la femme de le « laisse[r] ne plus [la] voir »… C’est sans doute « pour ne plus [la] voir » que le poète appuie son discours de nombreuses traces des consonnes dites occlusives, les « p » et « m », des consonnes qui exigent que l’on ferme la bouche pour les prononcer comme on ferme les yeux quand on veut ne pas voir… Grandbois est de ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas croire en un amour qui dure, il préfère mettre fin à un amour plutôt que de le voir mourir à petits feux, de platitudes et d’oublis. Et le poème se conclut sur le roulement des consonnes « l » et « r » alors même que le poète veut évoquer le mouvement des « lourdes portes de l’oubli » que les amants doivent franchir pour disparaître. (Claude Paradis, «Ouvrir une porte sur dix grandes œuvres de la poésie québécoise», Éditions du Noroît, 2015, p. 143, 144, 145).
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Je partage votre opinion. Ce poème est un bijou. Je suis contente de pouvoir lire votre analyse de ce dernier ici. J’essaye de diffuser des livres, des poèmes pour les faire connaître ou pour les faire revivre. Merci beaucoup pour cette analyse qui jette un regard juste sur les vers de Grandbois.
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