Madame lit du Alain Grandbois

12 réflexions sur “Madame lit du Alain Grandbois”

  1. Le poème «Avec ta robe» vaut vraiment le détour! Dans l’essai que j’ai évoqué, je m’attache plus longuement à ce poème. J’en reproduis une partie:
    Je retranscris le magnifique poème d’amour « Avec ta robe », dans lequel nous pouvons aisément percevoir que le désir de la chair l’emporte sur le besoin de fidélité. [Dans mon livre je mets] en évidence les nombreuses allitérations du poème [pour] souligner les images étonnantes, métaphores, antithèses et oxymores qui confèrent à ce poème un caractère unique :
    Avec ta robe sur le rocher comme une aile blanche
    Des gouttes au creux de ta main comme une blessure fraîche
    Et toi riant la tête renversée comme un enfant seul

    Avec tes pieds faibles et nus sur la dure force du rocher
    Et tes bras qui t’entourent d’éclairs nonchalants
    Et ton genou rond comme l’île de mon enfance

    Avec tes jeunes seins qu’un chant muet soulève pour une vaine allégresse
    Et les courbes de ton corps plongeant toutes vers ton frêle secret
    Et ce pur mystère que ton sang guette pour des nuits futures

    Ô toi pareille à un rêve déjà perdu
    Ô toi pareille à une fiancée déjà morte
    Ô toi mortel instant de l’éternel fleuve

    Laisse-moi seulement fermer mes yeux
    Laisse-moi seulement poser les paumes de mes mains sur mes paupières
    Laisse-moi ne plus te voir
    Pour ne pas voir dans l’épaisseur des ombres
    Lentement s’entr’ouvrir et tourner
    Les lourdes portes de l’oubli

    La description que Grandbois fait de la femme conduit notre regard vers son « frêle secret », son sexe, que le « sang guette » (chaque mois). Le poète joue beaucoup avec les images de contrastes : les mots « robe » et « rocher », en plus de répéter les mêmes sonorités grâce aux allitérations, opposent la souplesse du tissu à la dureté du roc ; plus loin la « blessure fraîche » suggère la fraîcheur autant que le fait d’être fraîchement survenue ; la faiblesse et la nudité des pieds s’opposent à « la dure force du rocher » (qu’appuie à merveille l’allitération de « r ») ; le poète osant même un oxymore en alliant les « éclairs », habituellement vifs et brefs, à la « nonchalan[ce] », qualité qu’on préfère attribuer à la chair… Ce poème est un parfait bijou. Le poète qui évoquait plutôt [dans un autre poème] « l’éternel instant » de l’amour présente ici une image qui apparaît un véritable diamant : « Ô toi mortel instant de l’éternel fleuve ». L’étrange beauté des contrastes met véritablement en valeur la fragilité du sentiment amoureux tel que le conçoit Alain Grandbois. Nous voyons dans la dernière strophe que le poète ne veut pas demeurer longtemps dans les bras de celle qu’il désire puisqu’il demande à la femme de le « laisse[r] ne plus [la] voir »… C’est sans doute « pour ne plus [la] voir » que le poète appuie son discours de nombreuses traces des consonnes dites occlusives, les « p » et « m », des consonnes qui exigent que l’on ferme la bouche pour les prononcer comme on ferme les yeux quand on veut ne pas voir… Grandbois est de ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas croire en un amour qui dure, il préfère mettre fin à un amour plutôt que de le voir mourir à petits feux, de platitudes et d’oublis. Et le poème se conclut sur le roulement des consonnes « l » et « r » alors même que le poète veut évoquer le mouvement des « lourdes portes de l’oubli » que les amants doivent franchir pour disparaître. (Claude Paradis, «Ouvrir une porte sur dix grandes œuvres de la poésie québécoise», Éditions du Noroît, 2015, p. 143, 144, 145).

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    1. Je partage votre opinion. Ce poème est un bijou. Je suis contente de pouvoir lire votre analyse de ce dernier ici. J’essaye de diffuser des livres, des poèmes pour les faire connaître ou pour les faire revivre. Merci beaucoup pour cette analyse qui jette un regard juste sur les vers de Grandbois.

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