
Chère lectrice, Cher lecteur,
En ce mois sous le signe de la littérature québécoise pour mon Défi littéraire 2019, j’ai décidé d’aborder un classique de la littérature québécoise : Nord-Sud de Léo-Paul Desrosiers (1896-1967) publié pour la première fois en 1931. Dans ce récit, Desrosiers exploite une page importante de l’histoire canadienne : l’attrait pour l’or californien. Ainsi, dans Nord-Sud, un paysan de 1840 décide de quitter son patelin pour aller faire fortune aux États-Unis en tant que chercheur d’or.
Nord-Sud raconte donc le cheminement intérieur d’un jeune homme de 25 ans, Vincent Douaire. Vincent, voyageur dans l’âme, est fasciné par tout ce qui touche de près ou de loin à la Californie. Chez lui, à Berthier, la situation économique est associée à la misère tandis qu’en Californie, elle semble être caractérisée par la richesse. Ainsi, l’ailleurs détient une place capitale dans le roman puisque tous les personnages du livre sont touchés par cette vague reliée à l’or californien.
Dès les premières pages du roman, le narrateur met en place une atmosphère liée à l’ailleurs par les souvenirs de Vincent. Les souvenirs constituent la première manifestation du désir d’évasion. La nostalgie avive Vincent jusqu’à éveiller en lui un nouveau désir pour l’aventure. Le personnage principal s’anime en relatant ce qu’il a vécu lors de ses voyages. Il semble envoûté par son passé au point d’être en fusion avec le non-lieu.
Sa voix devenait tout de suite rauque; son regard semblait se tourner à l’intérieur pour se fixer sur les paysages, sur les scènes dont il conservait l’image. Il hésitait, changeait ses mots, décrivait avec précision, tentait de rappeler l’impression produite. Peu à peu, perdant notion de ce qui l’entourait, il s’absorbait dans ce passé, s’isolait au milieu de ses auditeurs. (p. 17)
Le passé lui permet d’être non seulement un simple ouvrier agricole qui raconte des histoires, mais ce dernier lui permet d’emprunter le manteau de quelqu’un de respecté et d’écouté. Sa vie antérieure le motive dans un sens à quitter son pays natal pour établir encore plus sa réputation et pour retrouver de belles émotions même s’il est amoureux de Josephte, la fille du voisin Auray. Auray, le père, n’aura pas le choix de vendre sa terre et d’aller s’établir plus au nord. D’ailleurs, Vincent l’accompagnera et goûtera à la vie qu’il aurait pu avoir. Mais, il réalise que cette vie n’est pas pour lui et il décide de quitter les siens et de briser le cœur de sa douce en partant pour la Californie avec deux de ses frères et des compagnons de Berthier.
Mais encore, l’imaginaire des personnages du livre se développe en fonction de ce qui est écrit dans les journaux. Le journal devient le principal véhicule de l’ailleurs. La cueillette d’information, par le bais des quotidiens, place la Californie au centre de la pensée des hommes de Berthier. Le journal entretient le mythe du rêve américain relié à la richesse, à la convoitise.
La convoitise jaillissait de l’âme de cette population paysanne, où le numéraire était rare, thésaurisé avec soin, dépensé avec parcimonie. Et, surtout, le contraste était trop violent entre la misère, les difficultés présentes et ce grand rêve qui s’élevait tout pur, comme une flamme sans fumée, dans le ciel occidental. (p. 56)
Le «sans fumée» de cette citation peut être associé à l’étouffement. Rien ne peut obscurcir le désir de l’or dans l’esprit des hommes qui vivent dans la pauvreté.
Vincent, pour sa part, apparaît très réaliste et lucide par rapport à la situation américaine. Il ne croit pas tout ce qui est écrit dans les correspondances. Vincent envisage le voyage en Californie avec ses mauvais côtés (ennui, maladies, éloignement, concurrence, etc.).
Mais encore, l’attrait pour l’expédition vers le Sud est tributaire de la surpopulation dans la vallée du Saint-Laurent. Les jeunes sont placés devant une alternative : soit ils partent en Californie, soit ils essaient de coloniser les terres du canton de Brandon. D’une manière ou d’une autre : « Il était venu le temps de la migration » (p. 60).
Vincent n’a donc pas le choix. Il doit trancher entre le Nord représentant la misère ou le Sud correspondant à la fortune.
Personne ne pouvait nier la richesse extraordinaire des mines. De partout les foules se précipitaient sur cette belle proie. Il en venait des États-Unis, de tout le littoral occidental de l’Amérique du Sud, de la Chine, du Japon. Des cadavres d’hommes et de chevaux pourrissaient déjà des les déserts américains. (p. 98)
Vincent ne semble pas effrayé par le danger. Au contraire, il semble plutôt excité par ce dernier. Il veut se détacher de la vie paysanne. Par ailleurs, la symbolique de l’oiseau s’avère particulièrement intéressante. Ainsi, Vincent est beaucoup associé aux oiseaux dans le récit : «Josephte ne voulait pas engluer les ailes de cet oiseau migrateur» (p. 126). Les oiseaux représentent le Sud puisqu’ils quittent le Canada en automne pour rejoindre des contrées plus chaudes. Vincent, durant tout l’été préparera son envol vers la Californie. Tel un oiseau, il ouvrira ses ailes pour goûter à la liberté.
Un autre trait relevant de Vincent et prouvant son lien avec le thème de la mobilité est l’eau. À cet égard, le lecteur peut remarquer que Vincent entend l’appel du fleuve.
Il écoutait l’appel des hommes qui vivent sous le ciel, errent en liberté, nomades comme des Indiens. Ainsi qu’un cheval fougueux retenu par une main trop énergique, il ne pouvait calmer le frémissement de ses nerfs et les tremblements qui lui couraient sur la peau. Les êtres comme lui, le grand fleuve, l’avenue royale et bleue, les appelait, les aspirait comme une ventouse à l’intérieur de l’Amérique. (p. 172)
Plus qu’un appel, l’eau trace un chemin pour Vincent. Elle lui montre la voie à suivre puisqu’elle représente la mobilité. Vincent se sent en communion avec l’eau car il ne veut pas exister sans bouger, ce qui signifierait la mort, à l’image d’un lac stagnant. Il est un nomade.
Nord-Sud est un roman historique puisqu’il est le témoin d’une époque où l’or était une motivation, un rêve qu’il fallait concrétiser, une fièvre qui emportait tout sur son passage.
J’espère vous avoir fait découvrir un roman historique intéressant mettant en scène une dualité : le Nord versus le Sud à travers un personnage qui est conscient des dangers entourant la quête de l’or, mais ne pouvant y résister en raison de la situation économique de sa contrée et de l’attrait pour un ailleurs meilleur.
Connaissiez-vous ce roman? L’avez-vous déjà lu?
Bien à vous,
Madame lit
DESROSIERS, Léo-Paul, Nord-Sud, Montréal, Fides, 1980, 229 p.
Je ne connaissais pas…
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Un autre classique québécois découvert. 🙂
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🙂
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Très bel article, qui donne l’impression d’un livre très poétique ! Je ne connaissais pas ce classique québécois.
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Merci! J’essaye de vous faire découvrir notre littérature à travers ses époques.
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Oui, et c’est très intéressant ! Merci à vous 🙂
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Au plaisir! 🙂
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J’aime le Québec. Cet article me donne envie d’aller voir ce qui se passe de l’autre côté de l’océan en littérature. J’espère trouver les perles rares sur votre blog.
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N’hésitez pas à me partager vos coups de cœur québécois découverts sur mon blogue. Au plaisir!
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Je ne connais Desrosiers que de réputation. Jamais étudié. À toutes fins pratiques, jamais lu. Il y a quelques mois, j’ai trouvé un exemplaire d’un de ses romans, Vous qui passez, sur une table d’un vendeur de livres usagers lors d’un bazar en plein air près de chez moi (pour 1$, condition pas pire). Vous avez suscité ma curiosité. J’ai bien l’intention de lire prochainement celui que vous nous avez présenté. Voici pourquoi.
Depuis presque deux ans, je me suis baigné, immergé, dans Kerouac : lire environ la moitié de son œuvre, qui est immense, complexe, très profonde… Sans compter les biographies, les correspondances, les études (les savantes et les témoignages), un grand nombre d’articles… Visionner des reportages, des films, des vidéos ; écouter sa voix… De plus j’ai étudié cet épisode de notre histoire qu’on a choisi d’oublier, soit l’histoire de l’exode d’un tiers de la population canadienne-française chez notre voisin américain entre 1840 et 1930 : un fléau selon L.-O David, la grande misère selon VLB, un traumatisme (national) selon Pierre Anctil, une saignée démographique grave (Chartier).
Joyce Johnson a connu intimement Kerouac à l’époque de la parution de On the Road (1957-58). Elle a décrit, dans un roman, Minor Characters (Personnages secondaires), le milieu de la bohème de New York au sein duquel ils évoluaient dans les années 50. Dans sa biographie littéraire de Kerouac (The Voice is All, 2012), où elle examine particulièrement la dimension franco-américaine de son œuvre, de façon très perspicace, Johnson se réfère au dilemme de Maria Chapdeleine, qui doit choisir entre Paradis et Surprenant. Elle note que le personnage principal de On The Road s’appelle Paradise (Kerouac) ; que dans le roman de Hémon, Surprenant tente de convaincre Maria de le suivre aux États, à Lowell. Johnson souligne que Maria Chapdeleine a été traduit et qu’il a été très populaire à l’époque, qu’on l’a probablement lu à Lowell au moment de sa publication une décennie avant la naissance de Kerouac, qu’il se pourrait que Kerouac en aie entendu parlé dans le Petit Canada de Lowell, sans nécessairement l’avoir lu lui-même.
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Quel beau partage d’informations! Je suis ravie de lire votre commentaire et vos découvertes sur l’univers de Kerouac, d’Hémon, de Guèvremont. J’ose espérer lire le fruit de votre réflexion sur Kerouac et son lien ou pas avec la littérature québécoise. Ce type de réflexion m’interpelle beaucoup. Merci et bonne lecture de «Nord et Sud». Au plaisir!
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Il faudra du temps avant que je me soumette à la discipline de rédiger mes réflexions sur Kerouac. Peut-être un jour. En attendant, à compter de mercredi prochain le 26, je présenterai une série de trois « cours/conférences » de trois heures chacun, sur Kerouac le Franco-Américain aux membres de l’Éducation troisième âge du Collège Maisonneuve.
Comme beaucoup d’autres aspects de notre identité commune, le lien entre Kerouac et la littérature québécoise est méconnue : voici une liste partielle de ceux qui ont ouvertement reconnu l’influence que Kerouac a exercée sur eux : VLB (bien entendu), Claude Péloquin, Denis Vanier, Lucien Francoeur, Josée Yvon, Raoul Duguay, Jacques Poulin, Dany Laferrière, Louis Hamelin, Michel Vézina…
De plus, une grande partie de notre héritage se trouve, encore aujourd’hui (pour combien de temps) dans des archives de certaines institutions en Nouvelle-Angleterre, à Woonsocket, Manchester, et d’autres probablement, que je ne connais pas.
Tout a commencé au moment de l’entrevue de Kerouac par Fernand Séguin à Radio Canada en 1967 (disponible sur youtube). Lire la dossier spécial du Devoir, préparée par Robert-Guy Scully, le 28 octobre 1972 (disponible via BANQ : http://collections.banq.qc.ca/retrieve/6576293#page=28). Ginsberg et d’autres membres de la Beat Generation étaient présents lors de la Rencontre internationale de la contre-culture à Montréal en 1975. Idem, à la >Rencontre internationale Jack Kerouac tenue à Québec en octobre 1987, à laquelle j’étais présent.
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