«Être moral dans un monde immoral est immoral.» ( p.196)
Chère lectrice, Cher lecteur,
J’ai répondu avec enthousiasme à l’invitation lancée par les blogues Et si on bouquinait un peu? et Passage à l’Est. pour une lecture commune autour de l’Holocauste du 27 janvier au 3 février 2022. De plus, Passage à l’Est a créé un défi (vous savez que je les adore) autour des prix Nobel. J’ai accepté de lire un bouquin d’Imre Kertész (prix Nobel de littérature en 2002) et ancien prisonnier d’Auschwitz et libéré du camp de Buchenwald en 1945 (source : Babel). Comme j’avais dans ma bibliothèque Le drapeau anglais, suivi de Le Chercheur de traces et de le Procès-verbal du célèbre écrivain hongrois, mon choix de lecture a été facilité.
Ainsi, avec cet article, je participe aux événements organisés par mes collègues de la blogosphère.
Mon expérience de lecture
Avant d’entamer la première nouvelle, le lecteur retrouve l’avertissement suivant de l’éditeur :
«Ce triptyque de récits, composé selon le voeu explicite de l’auteur, comporte trois visions littéraires qui saisissent et traduisent trois moments cruciaux de la vie d’Imre Kertész, après son retour des camps de concentration. »
Vous l’aurez compris, l’auteur mélange son expérience personnelle à la fiction. La part de vérité est à chercher. Mais existe-t-elle la Vérité? Sommes-nous juste des témoins dans une Histoire plus grande que nous? Toute histoire est-elle racontable?
Dans Le Drapeau anglais, un professeur raconte une histoire à un cercle composé d’anciens étudiants. Il aborde un événement de l’insurrection hongroise de 1956 ; il parle de chars d’assaut qui envahissent Budapest, une ville détruite, poussiéreuse, mais aussi d’une voiture arborant un drapeau anglais, signe de liberté. Cette nouvelle permet surtout à l’auteur de jouer avec les concepts, entre autres, de la mémoire, de la subjectivité, de l’enfermement, de la vérité, du destin, du rôle du bourreau. C’est tout simplement troublant, voire déstabilisant car la lectrice ou le lecteur doit travailler assez fort pour rassembler les pièces de l’histoire. Les phrases sont longues, il y a des retours en arrière puis dans le présent et la vérité est souvent masquée, camouflée. C’est une nouvelle sombre, amère et la lectrice ou le lecteur sent bien la perte d’illusions et l’oppression qui accablent l’univers. Faisait-il bon vivre dans cette Hongrie oppressée? Après avoir lu cette nouvelle, j’aurais tendance à répondre non.
Dans Le Chercheur de traces, un homme revient dans un lieu, ou une ville, où de terribles événements se sont déroulés. Quels sont ces crimes auxquels il aurait assisté enfant? La lectrice ou le lecteur doute, essaye de comprendre, de suivre les traces. Elle ou il se doute bien que c’est le retour d’un déporté dans un camp d’extermination après la guerre. Sur le portail du lieu, il y a cette inscription «Chacun son dû». Le narrateur dira :
« Il y a dans ces mots une vérité qu’on peut prendre en considération, il suffit de la trouver». (p. 127)
Le narrateur progresse intérieurement. Il poursuit une quête, recherche des preuves pour expliquer les événements qui l’ont marqué dans son enfance. La parole devient incapable d’exprimer l’inexprimable. Souvent, la vérité se trouve dans le silence. La «catastrophe» devient on le doute bien l’extermination des Juifs. La puissance de la plume de l’auteur est là dans cet indicible, dans cet innommable. Il se sert du langage pour explorer son inconscient ou sa mémoire afin de traquer le terrible. L’histoire d’un homme devient celle d’un peuple, l’individuel versus l’universel.
Je trouve très difficile de parler de cet écrivain tant tout est camouflé, caché. La vérité est ailleurs.
Dans le Procès-verbal, un homme voyage dans un train peu après la chute du mur de Berlin. Il se déplace de Budapest vers Vienne. Un contrôleur lui demande la somme qu’il possède. Mais, il ne donne pas le bon montant. Il sera alors expulsé du train et il se verra remettre un procès-verbal qu’il refuse de signer. Mais, un autre contrôleur témoigne contre lui pour appuyer son collègue. Il ne pourra pas se rendre à Vienne car son argent lui est confisqué et il repart dans un autre train pour Budapest. Cette nouvelle soulève la lourdeur bureaucratique qui fera dire au narrateur :
«Les dictatures changeantes et néanmoins monotones des six dernières décennies ainsi que cette dictature résiduelle qui n’a pas encore de nom ont broyé mon immunité nourrie de patience, d’une patience injustifiée. » (p. 218)
Ce trajet permettra aussi au narrateur de revisiter ses souvenirs. La lourdeur de la bureaucratie, le camouflage, les secrets pour survivre, feront comprendre au narrateur que c’est le comportement du contrôleur qui l’a poussé à mentir. Un comportement qu’il associe aux hommes de son passé. On le sent, il a connu des officiers terribles. Mais, il en a connu également des bons.
«Dans les prisons, dans les camps, dans tous les endroits de ce genre, il se trouve toujours un officier ou un sous-officier qui vous redonne foi en l’existence. » (p. 215)
Le narrateur réalise qu’il est probablement condamné, à cause de son histoire personnelle, à vivre avec une liberté d’esclave.
Je le répète, j’ai trouvé cette lecture extrêmement difficile à cause peut-être de mon manque de connaissances dans différents domaines. D’une part, je ne connaissais presque rien du vécu d’Imre Kertész. D’autre part, je n’avais aucune idée des faits historiques de la Hongrie (régime totalitaire, censure dans le pays, etc.). Alors, vous imaginez dans quelle aventure je me suis lancée…Mais bon. Ne m’en voulez pas trop pour mes résumés des nouvelles. Je me suis peut-être trompée aussi dans mon interprétation, comme quoi, j’ai peut-être joué moi aussi avec les mots.
Passage à l’Est a publié de son côté un billet sur : Être sans destin
N’hésitez pas à le consulter!
Vous avez lu des livres d’Imre Kertész?
Bien à vous,
Madame lit
KERTÉSZ, Imre (2012). Le drapeau anglais, suivi de Le Chercheur de traces et de le Procès-verbal, traduit du hongrois par Natalia, ZAREMBA-HUZSVAI et ZAREMBA Charles. Paris : Actes Sud/Babel, 218p.
ISBN : 9782330006410

Cet article contient des liens d’affiliation grâce à un partenariat avec la coopérative des Librairies indépendantes du Québec. Vous pouvez commander Le drapeau anglais par le biais du site Web des Libraires grâce à un lien sécurisé.
Merci beaucoup de t’être jointe à moi pour t’attaquer à une lecture d’Imre Kertész dans le cadre des Nobel, et à nous dans le cadre des lectures communes autour de l’Holocauste!
Même sans avoir lu ces trois nouvelles, ton billet me parait fort juste et intéressant et (tout aussi important) me donne envie de les lire à mon tour. Je connais bien mieux le contexte de la vie d’Imre Kertész, ce qui m’aidera sûrement (d’ailleurs, j’ai moi aussi soulevé la question de « comment lire Kertész sans connaitre le contexte » dans mon billet, même si je crois que le contexte d’Etre sans destin est maintenant très connu).
Mais je crois que tu as tout a fait raison de souligner le flou, la décontextualisation, l’impossibilité de dire avec des mots car c’est l’essence d’Etre sans destin en tant que « projet d’écriture ».
Si tu veux en savoir plus sur Imre Kertész et sur le contexte (politique, culturel etc) de sa vie, je te conseille fortement Imre Kertész: l’histoire de mes morts, par Clara Royer.
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Il m’aurait sans aucun doute fallu lire le bouquin de Clara Royer avant d’entamer un livre de cet auteur… Je ne regrette pas du tout mon choix mais je ne me suis pas sentie outillée pour apprécier tout le génie de ce dernier. Je vais aller lire ton billet sur ce grand écrivain!!! Merci!
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Très intéressant comme toujours; j’ai aimé ta chronique. Bonne lecture!
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Merci beaucoup! Au plaisir!
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Ton article est intéressant. J’aime bien ce que tu dis à propos d’exprimer l’inexprimable… J’aurais aimer ce livre difficile avant d’aller en Hongrie. Budapest est tellement belle avec ces deux magnifiques églises. Je vais tenter de trouver ce livre, aller lire le livre qui t’est recommandé…
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Merci! C’est vraiment gentil. Je crois que peu importe ce que tu lis de cet auteur, tu vas retrouver l’inexprimable. Il a connu les monstruosités de la guerre… et il y a peu de mot pour décrire l’innommable. Au plaisir et bonne lecture!
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C’est une belle chronique sur un livre apparemment difficile à comprendre et où la chronologie des événements n’est pas très claire. Malgré tout ça éveille ma curiosité à propos de cet auteur que je n’ai encore jamais lu.
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Je suis bien heureuse de l’apprendre alors. Merci beaucoup!
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Merci pour ta contribution à notre semaine thématique. Je n’ai encore jamais lu Kertesz. J’avais noté en priorité « Etre sans destin »… Je suis peut-être un peu refroidi 🙂
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Tu auras probablement un meilleur bagage culturel que moi pout entamer cet auteur. Passage à l’Est a eu beaucoup plus de facilité que moi… Merci pour ton commentaire!
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