Madame lit Maria avec et sans rien
Chère Lectrice, Cher Lecteur,
En juin, les organisatrices du défi Les classiques c’est fantastique ont proposé la consigne suivante aux participantes et aux participants :
« Juin : Tout plaquer : solitude, isolement, introspection
Juste avant l’été, l’idée est de… TOUT PLAQUER ! Nous vous invitons à privilégier des textes classiques qui mettent en avant le besoin de solitude, les échappées solitaires de personnages ayant besoin d’introspection ou de nouveaux départs. »
Je dois dire que cette consigne m’a donné du fil à retordre… J’avais choisi de lire Into the wild, mais j’ai cru qu’il n’était pas un classique compte tenu de sa date de publication. Donc, mon choix s’est porté sur ce livre-culte aux États-Unis, Maria avec et sans rien (1970) de Joan Didion. La plume de Joan Didion a influencé des personnalités littéraires comme « Bret Easton Ellis, Jay McInerney ou Donna Tartt ».
Tout d’abord, pour celles et ceux ne connaissant pas Joan Didion, voici l’information que j’ai trouvée sur le site internet des Éditions Robert Laffont :
« Joan Didion est née en 1934 à Sacramento, Californie. Étudiante à Berkeley, San Francisco, elle reçoit son diplôme d’anglais en 1956. Romancière, scénariste, journaliste pour Vogue, le New York Times et le New Yorker, entre autres, elle ne cessera d’explorer la « satire de la vacuité existentielle de la bourgeoisie intellectuelle de la côte Ouest ». Elle se marie en 1964 avec le romancier et scénariste John Gregory Dunne. Jusqu’à la mort de ce dernier, en 2004, ils ont formé un couple phare de la vie culturelle des États-Unis, lié par une complicité intellectuelle d’exception. Elle a écrit cinq romans et huit essais, dont L’Année de la pensée magique (Grasset, 2007), récit de l’année qui a suivi la mort soudaine de son mari. »
Maria avec et sans rien
Maria Wyett, 31 ans, mariée, divorcée, mère d’Anna, une petite fille internée, est une actrice de second ordre à Hollywood. À Hollywood, tout peut sembler superficiel. Pour s’évader du vide existentiel l’habitant et celui régissant la vie des Américaines et des Américains autour d’elle, elle roule dans sa Corvette sur les routes de la Californie et elle se rend aussi à Las Vegas ou encore dans le désert du Nevada. Elle ne sait pas où elle va, mais cela n’a pas d’importance, car le désert est là tout comme les serpents à sonnette. Elle dort dans des motels miteux, essaye d’appeler des amis qui n’en sont pas, tente de se guérir à coup de somnifères ou de verres de whisky.
Par le biais de quatre-vingt-quatre chapitres, Maria se dévoile, exprime son mal-être, sa peine d’être séparée de sa fille Kate, handicapée mentale. Son ex-mari Carter n’est jamais loin, tout comme son amie Hélène. Cependant, ils n’ont aucune emprise sur Maria qui vit une descente aux enfers frisant la folie. Son désespoir est extrême tout comme sa solitude.
Mes impressions
Quand tout fout le camp, que reste-t-il ?
Ce roman cherche à peindre la société hollywoodienne d’une époque avec sa vacuité, son « artificialité», son hypocrisie, ses soirées se terminant en orgies, etc. Et cette société, Joan Didion la décrit très bien à travers les personnages de son récit. Par le recours à un long flash-back, Maria raconte les drames qu’elle a vécus depuis son enfance : sa mère est morte seule dans une voiture, son père était un joueur compulsif, son mari a du succès après leur divorce, sa fille est habitée par une maladie mentale. De plus, Maria a vécu un avortement et dont elle ne s’est pas remise, etc. Son ventre est vidé, tout comme le décor autour d’elle, tout comme le désert. Maria a trouvé comme moyen pour s’évader, pour trouver un peu de réconfort et tout oublier : la route. Rouler, toujours rouler. Parfois, elle pleure en roulant, il faut bien exulter du mal de vivre.
« Elle prenait l’autoroute de San Diego jusqu’à la rade, celle de la rade jusqu’à Hollywood, celle de Hollywood jusqu’au Golden State, celle de Santa Monica, de Santa Ana, de Pasadena, de Ventura. Elle roulait comme un batelier parcourt un fleuve, chaque jour plus habituée à ses courants, à ses traîtrises, et, tout comme un batelier sent l’attraction des rapides dans l’accalmie qui sépare le sommeil de la veille, Maria, allongée le soir dans le calme de Beverly Hills, voyait les grands panneaux défiler au-dessus de sa tête à cent vingt kilomètres à l’heure, Normandie zéro kilomètre cinq, Vermont un kilomètre, Rade un kilomètre cinq. » (p.24)
J’aime ce type de récit, de type de personnage aux prises avec les maux de son époque comme l’alcool, le sexe, la drogue, le néant, la folie, l’incommunicabilité, l’autodestruction. Ces êtres sombres sont parfois victimes des autres et elles n’ont pas d’autres choix pour survivre que de fuir. Maria comprend la superficialité autour d’elle. Ce qu’elle souhaite, c’est retrouver son enfant Kate et vivre une vie de famille remplie d’amour. L’écriture de Joan Didion apparaît cinématographique. L’instance lectrice porte les lunettes noires de Maria et voit à travers son regard tout le vide autour d’elle, toute cette farce qu’est devenue l’Amérique.
« Le reste du temps que Maria passa à Las Vegas elle porta des lunettes noires. Elle n’avait pas décidé de rester à Vegas : elle avait simplement négligé de s’en aller. Elle n’adressait la parole à personne. Elle ne jouait pas. Elle ne nageait pas, elle ne prenait pas de bains de soleil. Elle était là pour faire quelque chose mais quoi, elle n’arrivait pas à le savoir. Toute la journée, presque toute la nuit, elle marchait et elle roulait en voiture. Deux ou trois fois par jour elle entrait dans tous les hôtels du Strip et dans quelques autres dans le centre et elle en ressortait. Elle se mit à prendre goût au choc physique qu’elle ressentait à entrer dans un endroit et à en sortir, avec le changement de température, le vent brûlant qui soufflait dehors, l’air lourd et glacé à l’intérieur. Elle ne pensait à rien. Son esprit était comme une bande vierge sur quoi venaient s’imprimer chaque jour des bouts de conversations surpris, des fragments du boniment des croupiers, des plaisanteries et un vers d’une chanson par-ci par-là. Quand elle finissait par s’allonger la nuit dans la chambre mauve elle se rejouait la bande de la journée, une fille qui chantait dans un microphone et un gros homme qui laissait tomber un verre, des cartes déployées en éventail sur une table, le râteau d’un croupier en gros plan, une femme en pantalon qui pleurait et les yeux bleu opaque du garde qui surveillait une table de baccara. Un enfant dans la lumière crue d’un passage clouté sur le Strip. Une enseigne dans Fremont Street. Une lumière qui clignotait. Dans son demi-sommeil, pour gagner il fallait faire dix, le dix-huit gagnait et elle fredonnait : the only man who could ever reach her was the son of a preacher man, papa avait une veine d’enfer. » (p. 187)
Ce livre, c’est avant tout le portrait d’une femme qui perd pied dans une Amérique qui est aussi en crise. C’est un éloge à la fuite et jamais le néant n’a été aussi bien décrit.
J’ai lu Maria avec et sans rien dans le cadre du défi Les Classiques, c’est fantastique créé par Moka et Fanny. En ce début de la saison 5, il fallait plonger dans un classique mettant en scène des personnages voulant tout quitter et qui ont besoin de solitude, d’introspection. Maria, avec ses drames, se laisse guider par la route pour tout oublier…
Je vous recommande de lire ce bouquin :
- Si vous aimez le style cinématographique ;
- Si vous appréciez les personnages écorchés par la vie ;
- Si vous souhaitez plonger dans l’Amérique des années 70.
Aviez-vous déjà entendu parler de ce roman-culte américain ?
Bien à vous,
Madame lit
Joan Didion, traduit de l’anglais (américain) par Jean Rosenthal, Paris, Pavillons poche Robert Laffont, 2007, 231 p.
ISBN : 978-2-221-10967-0
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Tu me donnes très envie de lire ce roman et cette actrice ! Quel beau choix pour ce rdv des Classiques 🤩.
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Merci Sacha! J’ai beaucoup aimé cette lecture malgré l’obscurité des thèmes…
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Cela semble sombre en effet, mais très moderne aussi dans les thématiques.
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Oui. C’est un classique moderne on va dire. 🙂
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C’est trop sombre pour moi mais je ne dis pas jamais !
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Merci! C’est un peu notre réalité, malheureusement…
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Bonjour Nathalie, ces extraits sont magnifiques et cette écriture me touche. Cette histoire de fuite et de solitude me parait attirante. Ta chronique donne vraiment envie. Merci ! Bonne soirée
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Merci Marie-Anne. C’est une lecture qui m’a touchée pour toutes les raisons et les thèmes que tu soulèves. Bonne nuit!!!
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« Elle n’avait pas décidé de rester à Vegas : elle avait simplement négligé de s’en aller. »
Waouw! Quelle phrase! Rien que lire cela me donne envie de découvrir ce grand classique que je ne connais pas. J’en prends note, assurément. Merci Nathalie!
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Au plaisir ma chère! Il y a des phrases comme celle que tu cites qui viennent nous chercher dans ce livre. Merci!
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Joan Didion figure sur ma liste à lire depuis des années et je ne sais pas ce qui me retient encore (si, je sais, une PAL absolument indécente) mais je finirai par la lire. Merci pour la piqûre de rappel.
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Je te comprends tellement… J’ai fini par sortir ce livre de ma bibliothèque grâce au défi. Merci et je te souhaite de découvrir sa plume!
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Le seul livre que j’ai lu de Joan Didion est un autre de ses romans (ce qui, je crois, n’est finalement pas sa spécialité) et je n’avais pas été convaincue… pourquoi pas celui-ci mais je pense plutôt retenter ma chance avec La pensée magique ou un autre de ses essais.
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Elle a connu un grand succès avec ses essais. Je te souhaite d’agréables lectures avec les livres de cette autrice américaine. Merci!
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