Madame lit Le tombeau d’hiver d’Anne Michaels

« Le silence des ruines est le souffle des morts… C’était la première fois que je me réveillais en sentant la neige sur ma peau… Nous naissons avec des lieux de souffrance en nous, l’histoire en est la preuve… ». (p. 246)
Chère Lectrice, Cher Lecteur,
Comme Le tombeau d’hiver d’Anne Michaels vient de sortir dans la collection CODA des Éditions Alto, je me suis dit qu’il était temps pour moi de découvrir la plume de cette écrivaine canadienne. À cet égard, je remercie la maison d’édition pour l’envoi de ce livre en service de presse.
Tout d’abord qui est Anne Michaels ?
Selon le site Web des Éditions Alto :
« Romancière et poète de renommée internationale, Anne Michaels est née à Toronto, où elle vit toujours. La mémoire en fuite a été publié dans plus d’une quarantaine de pays et récompensé, entre autres, par le prix Orange, le Guardian Fiction Prize et le prix Trillium. Louangé par la critique pour son lyrisme et sa profondeur, Le tombeau d’hiver a été en lice pour le prix Scotiabank Giller. Étreintes, accueilli comme un événement lors de sa parution en anglais, est son premier roman en quinze ans. »
Le tombeau d’hiver
Jeanne Shaw et Avery Escher se rencontrent au début des années 60, tombent amoureux, décident de former un couple et de voyager. Jeanne suit Avery dans le monde, car il est ingénieur-architecte et elle est artiste-botaniste et seule au monde depuis la mort de son père. Chaque lieu où Avery est amené à travailler sur des chantiers que ce soit en Égypte, en Ontario ou encore en Pologne vont les amener à transiger avec des drames humains. Ainsi, ils vont aller dans le désert égyptien, à Abou Simbel et dans des villages de l’Ontario. Dans ces lieux, ils n’ont d’autres choix que de réfléchir à la condition humaine, aux désastres causés par l’homme et des inévitables reconstructions. Ces lieux leur permettent d’explorer les liens qui les unissent ou les séparent. Constamment tiraillé entre le passé et l’avenir, ce couple survivra-t-il dans le présent à un deuil ?
Mes impressions
Ce roman est un roman, entre autres, d’amour et de reconstruction. Je m’explique.
Tout d’abord, il y a cet amour fort, puissant entre Jeanne et Avery. Ce dernier apparaît unique, car Jeanne ne vit que pour Avery. Les deux amoureux vont vivre tout ce que l’amour leur offre ou leur reprend. Cet amour permet à l’autrice de nous livrer de merveilleux passages poétiques. Par exemple, après leur mariage en sol canadien, avant de quitter le Canada, voici ce qu’Avery mentionne à Jeanne :
« Ta ligne de cœur est le désert d’Arabie, ta ligne de destinée est le Nil… Pas à l’échelle, bien sûr…Ici, dit-il en traçant un cercle autour du renflement à la base de son pouce, il y a le Sahara… » (p. 122)
Je trouve cette façon de prendre possession du corps de l’autre en le nommant, tel un explorateur qui arrive sur une terre, sublime. Et, en même temps, Avery décrit leur futur parcours.
Mais encore, le corps comme présenté s’avère un thème important dans le récit. Un corps à aimer, un corps à accepter, un corps de vie, un corps de mort, un corps tombeau. En suivant son homme, Jeanne découvre progressivement son identité et cette identité passe la plupart du temps, par son regard sur les autres. Ainsi, elle peut observer les êtres qui ont souffert et prendre conscience de sa réalité. Par exemple, en voyant les Nubiennes descendent au fleuve, vêtues de leur gargantua, elle aimerait que ces dernières la regardent aussi. Ces Nubiennes qui connaissent si bien le désert, le fleuve et le ciel. Elle ressent alors un manque. Et ce manque l’amène à réfléchir à ce qu’elle a vécu et à ce qu’elle est.
« Quelle part du corps d’une femme lui appartient, quelle part est l’argile pétrie par un regard d’homme ? Jeanne était incapable d’expliquer l’isolement qu’elle ressentait, ce manque en elle-même. Il lui semblait qu’un certain mystère de la féminité était pour elle perdu à jamais ; elle croyait que cela était dû au fait qu’elle avait été élevée par son père seul. » (p. 138)
Jeanne mentionne dès le départ à Avery qu’elle portera ses vêtements masculins, car elle n’en a pas. Le symbole du vêtement apparaît essentiel pour Jeanne dans le récit. À la toute fin, il faut voir ce que lui choisit sa belle-mère pour se constituer une garde-robe à elle, empreinte de son identité.
Jeanne et Avery sont deux écorchés qui trouvent refuge dans leur amour. Cependant, alors que survient un drame, ils vont être amenés à affronter leur tombeau d’hiver et à y laisser quelques pierres.
La reconstruction, autre thème fondamental dans le bouquin, soulève un imaginaire rempli de compassion humaine. Ainsi, il y a la reconstruction des peuples qui ont été profondément perturbés par le développement économique, par les guerres, par l’Histoire. Par exemple, je ne savais même pas que la voie maritime du Saint-Laurent avait été marquée par le déplacement des corps des cimetières. Cela vient me chercher profondément tout comme le barrage hydroélectrique construit en Nubie alors que le peuple devra attendre 7 ans avant de pouvoir en bénéficier alors qu’il aurait pu avoir accès à l’électricité dès le départ par le branchement de quelques fils. Comme le pense Jeanne :
« Qu’était la perte individuelle comparée à la dévastation de la Nubie, la destruction des villes. Elle avait honte de son malheur. Et pourtant, sa honte n’était pas correcte, elle savait qu’elle ne l’était pas. Pleurer, c’est honorer. Ne pas céder à cette lamentation, à cette absence – un déshonneur. » (p. 289)
Le deuil comme mentionné plus loin ne doit pas devenir « une pénitence ». Jeanne rencontre des êtres humains qui vont l’aider à se découvrir et à se reconstruire en tant que femme.
Je dois vous avouer que j’ai adoré cette lecture. Il faut plonger dans cette histoire lentement, laisser couler sur soi le sable du Sahara, déposer ses pieds dans le fleuve Saint-Laurent, regarder les étoiles en Nubie. Le corps possède sa carte tout comme les pays du monde entier. Sur le chemin de la vie, de la mémoire, retrouver le goût de respirer. Un grand roman d’amour et de reconstruction humaine et collective. Jeanne va me hanter longtemps. Je laisse Jeanne à son jardin, à ses fleurs, à son Avery et à Elisabeth Willa Escher. Car :
« L’avenir jette son ombre sur le passé. Ainsi, les premiers gestes contiennent tout, ils sont une sorte de carte. Les premiers jours d’occupation militaire ; la conception d’un enfant ; semences et sol.
Le deuil est le plus pur distillat du désir. Avec la première tombe – la première fois qu’un nom fut semé en terre – vint l’invention de la mémoire.
Nul mot n’oublie cette origine. » (p. 7)
Anne Michael possède une façon bien à elle d’entraîner sa lectrice, son lecteur sur le chemin du regain de la vie malgré les peines, les misères, les doutes, l’absence et la mort. Un pur moment de grâce. Je vais laisser ce bouquin pas très loin de ma table de chevet, car il me faudra revenir aux propos profonds de Jeanne, d’Avery et d’un autre personnage que je n’ai pas eu le temps de vous parler, mais qui détient une importance capitale, Lucjan.
Je vous recommande Le tombeau d’hiver :
- Si vous aimez les histoires d’amour et de reconstruction ;
- Si vous appréciez les références historiques et géographiques ;
- Si vous voulez découvrir le merveilleux personnage de Jeanne.
Connaissez-vous les livres d’Anne Michaels ? Que pensez-vous du Tombeau en hiver ?
Bien à vous,
Madame lit
Anne Michaels, traduit de l’anglais par Dominique Fortier, Québec, Alto, Coda, 2024, 397 p.
ISBN : 978-2-89694-688-6
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Bel article ! Ce roman semble très poétique. J’aime bien la comparaison du corps avec un paysage. Merci 🙏 bon week-end 😍🍁📚
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Merci Marie-Anne! Ce livre parle du corps d’une magnifique façon. Bonne soirée!
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Quel merveilleux texte. Tu en parles avec tant d’amour que je veux le lire car j’ai déjà lu un roman de cette écrivaine. Encore une fois, merci de nous faire apprécier un roman et j’aime la façon dont tu le fais.
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Merci! J’ai hâte de lire un autre bouquin de cette autrice. Elle m’a profondément touchée.
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Il a l’air de t’avoir beaucoup touchée, ce roman. A quelle époque se passe-t-il ? Toutes ces références à la Nubie me font penser qu’il ne se déroule pas à l’époque contemporaine mais sans certitude!
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Il se déroule au début des années 60. Une belle plume, touchante, poétique et des personnages profonds, ce livre mérite d’être connu. Merci!!
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Quelle magnifique couverture pour un roman qui me fera voyager du Canada à l’Egypte, et dans l’âme humaine. Impossible de ne pas l’ajouter à ma liste de livres à lire face à tes arguments 😊.
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Je suis contente de l’apprendre! Tu m’en redonneras des nouvelles!!! 🙂
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