Madame lit Yoga d’Emmanuel Carrère

« Je pense que le yoga et la méditation, comme l’amour et le travail d’écrire, vont m’accompagner, me soutenir, me porter jusqu’à ma mort ». (p. 41)
Chère Lectrice, Cher Lecteur,
J’ai décidé de lire Yoga d’Emmanuel Carrère pour deux raisons. D’une part, après avoir vu l’auteur parler de ses livres à La Grande Librairie, je me suis dit qu’il était temps pour moi de découvrir un de ses bouquins. D’autre part, comme je pratique le yoga yin depuis quelques années, j’étais curieuse de lire ce que l’auteur pensait de cette pratique. Le yoga yin m’aide énormément, car je peux étirer en profondeur des parties de mon corps qui en ont besoin et il tente de calmer mon système nerveux. Alors, grâce à cette activité, j’aide mon corps douloureux atteint d’une maladie chronique à évacuer des tensions.
Yoga d’Emmanuel Carrère
Le narrateur, en l’occurrence Emmanuel Carrère, aborde sa formation de yoga qu’il entreprend pour en apprendre davantage sur lui et pour retrouver le goût de sa pratique. Il passe de nombreuses heures assis en lotus sur un zafu pour atteindre la pleine conscience. Cependant, un évènement vient perturber son stage Vipassana : les attentats terroristes chez Charlie Hebdo. Il doit quitter la formation et la compagne de Bernard Maris, son ami, tué dans l’attentat, lui demande de prononcer l’oraison funèbre. Le yoga et la méditation ne pèsent pas lourd à côté du terrorisme. Puis, Carrère sent une ombre derrière lui. Il la connaît, tout comme l’autodestruction qui l’habite. Il reçoit un diagnostique de bipolarité de type 2. C’est aussi l’internement dans un hôpital psychiatrique durant plusieurs mois où il va recevoir des électrochocs, de la kétamine et essayer de la médication pour chasser le désespoir et le néant. Entre l’ombre et la lumière, la ligne est mince. Il demande même l’euthanasie.
Puis, remis en santé, il va dans un camp de réfugiés en Grèce, sur l’île de Léros, avec ses notes sur le yoga. Il doit donner des ateliers de « creative writing » à de jeunes Syriens. En les côtoyant, il apprend à les connaître et à comprendre la dure réalité de ces réfugiés. Surtout, à les écouter parler du but de la vie: être de meilleurs humains.
Puis, il aborde la mort de son ami, son éditeur qui a lu avec des yeux brillants tous ses livres, sauf celui-ci.
Mes impressions
Pour ma première rencontre avec l’univers d’Emmanuel Carrère, je dois dire que j’en ai pris plein la gueule. Je pensais, comme il est noté dès la troisième ligne, lire un petit livre joyeux sur le yoga. Mais non. Je ne m’attendais pas à être entraînée à lire des réflexions sur les djihadistes, sur la crise des réfugiés ou sur la dépression dans ce qu’elle a de plus terrible et sur la mort d’amis. J’ai beaucoup apprécié ce livre et j’ai eu de la difficulté à le laisser de côté. Bien sûr, j’ai aimé en apprendre davantage sur la terminologie du yoga, mais ce qui m’a bouleversée, c’est le passage de Carrère à l’hôpital psychiatrique. Il se livre sans artifice, avec franchise et véracité, car pour lui, le genre littéraire qu’il pratique est « le lieu où on ne ment pas ». On l’a souvent qualifié de narcissique, cependant, il soulève qu’il l’est peut-être un peu, mais ce qu’il rédige, il le fait « sans hypocrisie » (p. 208). Dans sa crise de folie, il doit plonger en lui, comme à l’instar du yoga, pour tenter de calmer sa tempête intérieure. Comme il le mentionne :
« Cette vie, la mienne, pauvre vie misérable et quelquefois vivante, et quelquefois aimante, n’a pas été qu’illusions et déroutes et folie, et le péché mortel c’est de l’oublier. Il est vital, dans les ténèbres, de se rappeler qu’on a aussi vécu dans la lumière et que la lumière n’est pas moins vrai que les ténèbres. Et je suis certain que cela peut faire un bon livre, un livre nécessaire, celui qui ferait tenir ensemble ces deux pôles : une longue aspiration à l’unité, à la lumière, à l’empathie, et la puissante attraction opposée de la division, de l’enfermement de soi, du désespoir. Ce tiraillement est plus ou moins l’histoire de tous les hommes, il se trouve que chez moi il prend ce tour extrême, pathologique, mais puisque je suis écrivain je peux en faire quelque chose. Je dois en faire quelque chose. » (p. 220-221)
Ce livre apparaît universel. Qui n’a pas goûté aux ténèbres ? Qui n’a pas dansé dans la lumière ? Les deux font partie intégrante de l’expérience humaine et c’est ce dont il est question dans ce livre à travers des événements difficiles.
Mais encore, les exercices physiques de yoga modifient-ils toujours la conscience ? Les exercices de yoga peuvent-ils se faire en toute liberté sans connaissance de la terminologie, sans unification de la conscience ?
Assise sur mon zafu, je vais réfléchir aux principes mentionnés dans ce livre, entre autres, sur la profondeur stratégique dans le yoga et me réfugier de plus en plus dans mon intériorité lorsque des événements extérieurs viennent me déstabiliser et stimuler un peu trop mon système nerveux. Et que dire de mes vrittis ? Il faut lire ce bouquin pour comprendre ce combat héroïque qu’il faut mener pour tenter de les éliminer.
En tous les cas, c’est tout un cocktail : yoga et dépression !
Je vous convie à lire ce bouquin si :
- Vous aimez et pratiquez le yoga (mais ce n’est pas nécessaire)
- Vous voulez en apprendre davantage sur le yoga (l’auteur écrit d’une façon intelligible, sans prétention)
- Vous voulez réfléchir avec l’auteur sur la vie, la vie dans son universalité d’une façon très touchante
Avez-vous lu Yoga d’Emmanuel Carrère ?
Bien à vous,
Madame lit
Emmanuel Carrère, Paris, Folio, 2022, 438 p.
ISBN : 978-2-07-297767-1
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Je disais que ce roman semble aborder énormément de sujets variés. Le thème de la maladie psy m’intéresse beaucoup, en tout cas. Merci Nathalie 🙏😊 bon week-end 🌞🌱📚❄️🍀✨️🤩
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Bonjour Marie-Anne, c’est plus un récit de vie qu’un roman. Mais, si le thème de la maladie psy t’intéresse, tu vas certainement apprécier la franchise d’Emmanuel Carrère concernant sa bipolarité. Bonne soirée !
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Je suis une inconditionnelle de Carrère, et oui, il est narcissique, parfois pédant, donneur de leçon, mais voilà, il met des mots sur des malaises, des troubles, des douleurs, sans les fuir. C’est une humanité où je me retrouve. (même sans pratiquer le yoga)
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Je comprends maintenant pourquoi. Merci! Je vais continuer à découvrir son œuvre! 🙂
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On vient de ma l’offrir….
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Bonne lecture!!!
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J’ai été très marquée par D’autres vies que la mienne que je te recommande chaudement. Là encore, Emmanuel Carrère mêle vie personnelle et réflexions universelles, à partir d’un drame. Et dans un autre genre, j’ai beaucoup aimé La classe de neige. J’avais entendu que Yoga avait beaucoup divisé. Sa sortie était trop proche des évènements de Charlie Hebdo pour que je lise à l’époque mais aujourd’hui, je me sens prête et son expérience psychiatrique m’intéresse. Bref, je le note !
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Merci Sacha pour ces belles recommandations que je note car je souhaite poursuivre ma découverte de l’œuvre d’Emmanuel Carrère. Il écrit vraiment très bien. 🙂
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Je n’ai pas lu Yoga, mais je viens de lire V13, où il relate le procès des attentats 13 septembre auquel il a assisté pour le compte de l’Obs. Mon billet paraîtra prochainement 🙂
Sinon j’ai beaucoup aimé L’adversaire, D’autres vies que la mienne, ou La classe de neige (très court, et pour le coup, c’est une des rares fictions qu’il ait écrites). J’ai également lu sa biographie sur Philip K. Dick, que j’ai beaucoup aimée, mais c’est mieux de connaitre un peu l’œuvre de K. Dick pour l’apprécier. Et dernièrement j’ai lu Limonov, une biographie aussi, que j’ai appréciée.. en fait, je crois que je suis fan…. !!
Ingannmic (https://bookin-ingannmic.blogspot.com/)
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Je crois en effet que tu es fan! J’ai dans ma bibliothèque « L’adversaire» et il me tarde de le lire. Au plaisir de lire ton billet sur «v13». Il parle aussi des attentas dans Yoga. Merci!!! 🙂
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