Chère lectrice, Cher lecteur,
Depuis très longtemps, je voulais lire les Lettres d’amour de la religieuse portugaise. Mariana Alcoforada (1640-1723), religieuse résidant au monastère de Beja, signe 5 lettres d’amour. Elle écrit avec toute la passion amoureuse dont elle est capable à un jeune officier français qui l’a abandonnée après l’avoir séduite. Dès la première missive, Mariana clame :
Mais il n’importe, je suis résolue à vous adorer toute ma vie, et à ne voir jamais personne, et je vous assure que vous feriez bien aussi de n’aimer personne. Pourriez-vous être content d’une passion moins ardente que la mienne? (p. 15)
L’amour s’avère sa religion. L’autre devient l’objet d’adoration, son dieu…
Ces lettres voient le jour pour la première fois en 1669 et elles connaissent un succès immédiat. De plus, dès leur publication, les gens sont curieux par rapport à l’identité de cette religieuse et de son officier français. Le mystère entourant ce recueil semble avoir contribué à sa popularité. Toutefois, il sera établi que l’auteur est Guilleragues.
D’ailleurs, Jean-Jacques Rousseau dit de ces lettres : « Je parierai tout au monde que ces lettres ont été écrites pas un homme».
Stendhal écrit dans la Vie de Rossini «Il faut aimer comme la Religieuse portugaise, et avec cette âme de feu dont elle nous a laissé une si vive empreinte dans ses lettres immortelles». La religieuse portugaise institue donc un art d’aimer, un modèle à suivre.
Rainer Maria Rilke traduit les lettres en allemand et il mentionne : « Les paroles de cette religieuse contiennent le sentiment tout entier, ce qu’il a d’exprimable et ce qui est en lui indicible. Et sa voix est pareille à celle du rossignol, laquelle n’a pas de destin».
Philippe Sollers stipule : «La lucidité qui dévoile un aveuglement de cette dimension est unique».
Dans la solitude du couvent, Mariana explore sa féminité, sa sensibilité en couchant sur le papier les sentiments de son âme. Elle passe à travers diverses émotions comme le désespoir, la cruauté, la jalousie, la folie, le doute, l’amour. Elle est confrontée au silence de celui qu’elle aime et communique son désarroi d’être ainsi abandonnée à ses pensées. Ses lettres deviennent une échappatoire à la folie, un exutoire, une affirmation de soi dans une société où la liberté d’aimer est bien mince.
J’ai bien du dépit contre moi-même quand je fais réflexion sur tout ce que je vous ai sacrifié : j’ai perdu ma réputation, je me suis exposée à la fureur de mes parents, à la sévérité des lois de ce pays contre les religieuses, et à votre ingratitude, qui me paraît le plus grand de tous les malheurs. Cependant je sens bien que mes remords ne sont pas véritables, que je voudrais du meilleur de mon cœur avoir couru pour l’amour de vous de plus grands dangers, et que j’ai un plaisir funeste d’avoir hasardé ma vie et mon honneur : tout ce que j’ai de plus précieux ne devait-il pas être en votre disposition? (p. 40)
Quelle amoureuse cette religieuse portugaise! Toutefois, je la plains car elle reçoit une froide lettre de son officier qui lui fait réaliser qu’il est indigne de ses sentiments.
Les 5 lettres débutent par ces termes et elles peuvent évoquer, entre autres, les éléments entre parenthèses :
- Lettre I : Considère mon amour (crainte de l’abandon, espoir du retour de l’être aimé)
- Lettre II : Il me semble que je fais (espoir que l’autre ne l’oublie pas)
- Lettre III : Qu’est-ce que je deviendrai (délibération, pulsion de vie, de mort, chantage, etc.)
- Lettre IV : Votre lieutenant vient (crise intérieure, dévoilement du drame)
- Lettre V : Je vous écris pour la dernière fois (fin de la passion, lucidité)
Ces dernières ne sont pas très longues…En les lisant, le lecteur s’imprègne de la puissance d’aimer de cette religieuse. Tout en elle n’est qu’émotion. Il se désole également de son aveuglement, car il ressent sa souffrance et il juge d’une certaine façon cet officier français de l’avoir abandonnée après l’avoir séduite.
Cependant il me semble que j’ai quelque attachement pour des malheurs dont vous êtes la seule cause : je vous ai destiné ma vie aussitôt que je vous ai vu, et je sens quelque plaisir en vous la sacrifiant. J’envoie mille fois le jour mes soupirs vers vous, ils vous cherchent en tous lieux, et ils ne me rapportent, pour toute récompense de tant d’inquiétudes, qu’un avertissement trop sincère que me donne ma mauvaise fortune, qui a la cruauté de ne souffrir pas que je me flatte, et qui me dit à tous moments : cesse, cesse Mariane infortunée, de te consumer vainement, et de chercher un amant que tu ne verras jamais, qui a passé les mers pour te fuir, qui est en France au milieu des plaisirs, qui ne pense pas un seul moment à tes douleurs, et qui te dispense de tous ces transports desquels il ne te sait aucun gré. (p.12-13)
Pourquoi ces lettres fascinent-elles encore aujourd’hui après tant d’années? Pourquoi le lecteur vient-il encore s’y abreuver ? Ce sont des questions que nous pouvons nous poser… Comme l’amour est sans aucun doute le plus grand des mystères, la religieuse portugaise nous en parle, nous le fait vivre, nous le dévoile en nous ouvrant son cœur. Elle nous permet de ressentir sa douleur, sa passion comme personne. Sa plume s’avère magnifique. Elle offre à son lecteur un témoignage de son drame intérieur à travers une évolution sentimentale, celui d’une femme amoureuse qui prend conscience qu’elle n’est point aimée, qu’elle a été trompée et bafouée. En fait, elle n’est probablement qu’un trophée de chasse pour l’officier. Ses mots sont puissants… Elle crie à celui qui l’a séduite tout le feu dévorant son âme. Elle est consumée par le sentiment amoureux. Elle brûle… Comme elle l’écrit à l’homme qu’elle aime :
Il est vrai que j’ai eu des plaisirs bien surprenants en vous aimant […] (p. 49).
Je ne peux que vous encourager à lire ces 5 lettres… Si vous aimez le genre épistolaire et le sentiment amoureux, vous serez comblé, comme je le suis, par cette brève lecture qui oscille entre passion et désespoir….
Les avez-vous déjà lues? Qu’avez-vous pensé de ces missives?
Bien à vous,
Madame lit
Guilleragues et Philippe Sollers (dir). Lettres d’amour de la religieuse portugaise, Bordeaux, Élytis, 2009, 90 p.
L’amour s’avère sa religion…cette idée me plaît; et le lirai ces lettres avec plaisir
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J’espère que vous aimerez cette lecture. N’hésitez pas, par la suite, à me partager vos impressions. Je serai ravie de vous lire.
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Avec un infini plaisir. Didier
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Je suis bien heureuse alors…
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A reblogué ceci sur La tentation d'écrire.
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Aimer? Quel beau verbe qui rend à la vie toute sa raison d’être. Pour preuve, enlever le « i » de ce verbe et cela devient … amer.
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Pour moi, aimer, c’est le plus beau des verbes… Il est devenu malheureusement amer pour cette religieuse portugaise… Merci pour cette remarque bien à propos… Au plaisir!
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Pourtant, aimer même si il peut s’avérer être « amer » pour bien des gens donne qu’on le veuille ou non une raison d’être incroyable. Qui plus est! Il nous permet de faire une introspection profonde de soi.
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Je comprends votre réflexion…L’amour a enflammé cette religieuse. Il lui a effectivement permis de vivre, de se définir et de plonger dans les méandres de son âme… Merci de ce partage…
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Tout le plaisir est pour moi.
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Très intéressant cette histoire j’aime!
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Merci pour ce beau commentaire! Je l’apprécie!!!
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je ne connaissais absolument pas, mais je vais sans doute me procurer ce livre, peut-être même dès ma prochaine commande…
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Je suis bien contente de l’apprendre et d’avoir piqué ta curiosité!
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😉
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Je les ai lus il y a fort longtemps et vous en ravivez ma mémoire. J’aime la littérature épistolaire, celle-ci étant plus de l’ordre de la prière ou du soliloque, mais elles sont fascinantes.
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Oui… Prière d’une femme à son adoré…
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Oui ! l’Amour reste un mystère…
Cette intense émotion n’est parfois pas partagée !
Partagée, elle est moteur de l’épanouissement …
Ces lettres sont très tentantes.
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Merci M. B. Elles demeurent un incontournable pour le genre épistolaire…elles sont sublimes…
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Les lirai sûrement. Je vous suggère une autre lecture de lettres d’un impossible amour: Je vous écris que je vous aime d’Elisabeth Brami. Pas pour comparer, juste si vous aimez le genre épistolaire, même si le livre n’est pas que des lettres.
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Guilleragues est celui qui a rédigé les lettres de la religieuse portugaise… C’est ce qui a été déterminé… Merci pour votre référence. J’ai noté le titre et l’auteure. C’est un genre que j’aime bien.
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J’ai entendu parler de cette histoire en effet, et je pense que c’est justement cet anonymat qui fait que l’on peut s’attacher à cette jeune femme qui est dévorée par l’amour. J’ai très envie de les lire !
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Je ne peux que t’encourager… Ces lettres d’amour sont sublimes, puissantes… La religieuse portugaise est effectivement dévorée et consumée par le feu de l’amour… J’espère que tu vas les aimer… Tu m’en redonneras des nouvelles! 🙂
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Très beau billet. Je ne connaisssais pas, mais cette idée m’enchante. Je vais aller lire ces lettres !
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Merci et je suis bien contente d’apprendre que tu liras les missives de la religieuse portugaise. 🙂
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J’ai lu ces Lettres il y a quelques mois maintenant et j’ai été totalement surprise par leur modernité. Les sensations, les mots sont si présents, si actuels. Et encore une fois, on mesure toute son humanité, le peu de temps que l’on passe sur cette Terre mais la grandeur des sentiments et émotions qui ont traversé les Hommes à travers les époques. Passé, présent, futur. Nous ne faisons que passer et je trouve que ça nous rend modeste et nous remet à notre place aussi. C’est très étrange ce sentiment, un peu comme lorsque je contemple un ciel étoilé ou un grand paysage naturel sans aucune intervention humaine visible.
Je me suis laissée emportée!
Je suis ravie d’avoir trouvé ce billet sur votre page.
Je vous conseille grandement L’amour et rien d’autre, Correspondace Kempton-Wace entre Jack London et Anna Strunsky. Un bijou à mon sens édité par les Editions Phébus, Libretto. Lire l’histoire qui a donné lieu à cet échange lui donne tout son sel… La lecture prend une autre dimension.
Au plaisir.
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Merci beaucoup pour votre commentaire… J’ai adoré ces lettres d’une puissance presque divine. Je note votre référence et j’espère être capable de trouver cet ouvrage ici. Vous avez piqué ma curiosité. Au plaisir!
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