«Tout dire. Expliquer? Non. Raconter. La famille de Victoire. Les générations, les vagues d’individus, de clans, de parents, les mariages d’amour consanguins prolifiques, les mariages de raison stériles, […].» p. 182
Chère lectrice, Cher lecteur,
Michel Tremblay est un écrivain très connu au Québec. Il est un dramaturge, un auteur dont l’oeuvre s’avère prolifique. Son roman La grosse femme d’à côté est enceinte est le premier tome de sa série des Chroniques du Plateau-Mont-Royal qui en compose 6. Ce dernier a été publié pour la première fois en 1978 et grâce au talent de Michel Tremblay, entrer dans cet univers, c’est s’ouvrir au milieu populaire montréalais, un monde rempli de tendresse, de détresse, de solidarité et d’amour. C’est notre histoire avec son franc-parler, ses couleurs, ses gens. Alors, partons à la découverte de la famille de Victoire.
Que raconte ce roman?
Cette histoire se déroule en une journée, le 2 mai 1942. Elle débute un samedi matin sur la rue Fabre, dans le quartier du Plateau Mont-Royal de Montréal, une semaine avant la conscription imposée par les fédéraux. Une famille gravite autour d’une femme de 42 ans enceinte. Elle n’a pas de nom.; elle est la grosse femme enceinte. Son mari, Gabriel, est le fils de Victoire. Victoire a eu 3 enfants : Albertine, Gabriel, Edouard. Des voisins aussi entourent la grosse femme : des prostituées, la propriétaire du chat Duplessis et des tricoteuses. Ces êtres veillent sur la grosse femme et ils sont tous colorés. Ils possèdent une histoire, ils vivent l’Histoire. Être enceinte à cette époque était une façon de permettre à son homme d’échapper à la guerre.
Ce que j’en pense
Pour moi, ce livre fait partie de ceux qu’il faut lire pour comprendre le milieu populaire francophone québécois durant la Deuxième Guerre mondiale. Les personnages sont porteurs de valeurs comme l’amour, la communication, la maternité, la culpabilité, la honte, la religion, etc. Mais encore, il y a une critique de la société à travers l’image de la femme par un renversement des mythes traditionnels de la fécondité. Comme le narrateur le mentionne :
«C’est que Marie-Louise Brassard, pur produit de l’ignorance, de l’intolérance d’une société rurale qui imposait le silence là où des explications auraient été vitales, qui nourrissaient l’envie, l’hypocrisie et la culpabilité comme trois vertus essentielles et qui, surtout, considérait la sexualité comme un mal nécessaire (non pas un péché mais le péché, le seul, l’ultime, par où les femmes doivent passer pour assurer une progéniture à la race, s’abîmait dans la peur de son enfant. Personne ne lui avait jamais rien dit au sujet de la sexualité, elle qui croyait encore le jour de ses noces que les enfants sont livrés par les Indiens de Caughnawaga, […].» (p. 185)
Ce renversement de l’ordre se poursuit par le biais de réseaux sémantiques. On peut citer les noms des animaux. Ainsi, on retrouve un chat prénommé Duplessis. Duplessis a été le premier ministre du Québec durant presque vingt ans gardant le Québec dans une grande noirceur. Il était un fervent catholique et un conservateur. Mais encore, dans le roman, le lecteur rencontre un chien nommé Godbout. Le prénom du chien renvoie au premier ministre du Québec de l’époque Adélard Godbout. Il était un libéral. Comme on le sait, Duplessis et Godbout ont échangé le pouvoir. Alors, dans l’histoire, les deux animaux se livrent une bataille à l’image des des premiers ministres de l’époque.
De plus, les noms des tricoteuses, Rose, Violette et Mauve font référence aux fleurs. Ces prénoms évoquent l’éphémère. Les tricoteuses marquent le rythme du roman; elles tricotent le temps.
Aussi, d’autres signifiants sont particulièrement frappants comme :
- le nom du docteur Sanregret ou le «sang du regret» ou «sans regret»;
- Mercedes : goût du luxe;
- Victoire : reine Victoria.
Mais encore, le narrateur attaque certaines cibles comme :
- La condition féminine (la femme à la fenêtre)
- La guerre
- Les rôles en public versus en privé
- Le milieu anglophone versus le milieu francophone
- Les hommes et leur lâcheté
«Les quelques hommes jeunes qui sillonnaient la rue Mont-Royal, cet après-midi là, le faisaient au bras de leurs femmes enceintes, alibis de leur présence au pays en temps de guerre, garanties de leur honnêteté et, surtout, de leur innocence. Abandonner une femme enceinte pour aller courailler dans les vieux pays? Jamais!» (p. 158)
Mais, une des caractéristique principale de ce roman, c’est le thème de la langue. Dans ce roman, la langue présentée relève de la langue du quotidien, celle du peuple, celle qu’on n’enseigne pas dans les classes, celle qui court dans les ruelles de Montréal, c’est-à-dire le joual. (l’équivalent de l’argot en France). Elle est à l’honneur dans ce récit. Comme le mentionne Victoire :
«J’plains la mére qui vous a mis au monde! » ou bien : « Avoir un épais de même comme fils, moé, j’me suiciderais!» ou encore : « C’est pas un chapeau que vous devriez porter su’vot’tête, vous, c’est un suyer! » (p. 159)
Michel Tremblay a souvent abordé le joual dans des entrevues. Il soulève :
« […] le joual est « une arme politique, une arme linguistique que le peuple comprend d’autant plus qu’il l’utilise tous les jours » . L’auteur des Belles-sœurs ira même jusqu’à affirmer que «quelqu’un qui a honte du joual, c’est quelqu’un qui a honte de ses origines, de sa race, qui a honte d’être québécois ». (2)
Le joual devient une autre façon de renverser l’ordre établi. Il représente le peuple, le Québec dans toute sa vitalité, sa diversité. Il s’oppose au clergé, à l’état, aux traditions du terroir.
Devriez-vous lire La grosse femme d’à côté est enceinte? Absolument! Pourquoi? Pour découvrir une gamme de personnages attachants. Pour comprendre la réalité des gens d’ici. Pour aller à la rencontre de la vie dans un quartier de Montréal. Qui sait? Vous allez peut-être aimer ces êtres tricotés au fil du temps… Un classique québécois à découvrir!
Pour en apprendre davantage sur l’univers de Michel Tremblay, cliquez sur Michel Tremblay.
Avez-vous déjà lu du Michel Tremblay? Ce roman vous intéresse-t-il?
Bien à vous,
Madame lit
TREMBLAY, Michel. La grosse femme d’à côté est enceinte, Montréal, Bibliothèque québécoise, 1990, 304 p.
2. Michel Tremblay cité par Jean-Sébastien Ménard, «Qu’est-ce que le joual?», Le français s’affiche, Cégep de Montpetit. Récupéré à [https://www.cegepmontpetit.ca/static/uploaded/Files/Cegep/Centre%20de%20reference/Le%20francais%20saffiche/Valorisation/Chroniques/LE-joualversionjanvier2016.pdf] (12 janvier 2021).

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Je viens de le commander en ligne, juste après avoir lu ta critique… 😉
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J’espère que tu vas apprécier la langue colorée d’ici! Si tu as des problèmes, n’hésite pas à m’écrire. 🙂
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Promis 😉 Je pense commencer ma lecture lundi…
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J’ai hâte de connaître ton avis sur cette histoire. Bonne lecture!
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Quel livre ! J’ai adoré et votre chronique me donne envie de le relire. Je l’avais acheté à la librairie Garneau à Québec, existe-t-elle encore ? Un livre superbe, truculent, qui m’avait amené à suivre les publications de Michel Tremblay pendant plusieurs années. Merci pour ce rappel !
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Je suis bien contente de l’apprendre. Je ne sais pas pour la librairie Garneau. J’y suis allée souvent durant mes études. J’habite dans la région de l’Outaouais en ce moment… Merci et j’espère que vous aurez la chance de lire ou de relire du Michel Tremblay, Au plaisir!
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