Madame lit Les vieux ne pleurent jamais de Céline Curiol

Les vieux ne pleurent jamais
«Soixante-dix ans, âge fatidique pour la femme constatant impuissante l’extinction des regards des hommes». (p. 39)
Chère lectrice, Cher lecteur,
Après avoir essuyé un échec avec mon premier choix de livre pour le Club de lecture que j’anime mensuellement, j’ai proposé comme second bouquin Les vieux ne pleurent jamais de Céline Curiol. Les membres ont finalement plus apprécié ce livre, car les thèmes les rejoignaient et le style d’écriture s’avérait accessible. Tandis que le premier livre semblait un peu trop littéraire. Il ne s’adressait pas à un large public, mais plus à des littéraires (Le siècle de Jeanne).
Les vieux ne pleurent jamais
Judith Hogen vient de perdre son mari Herb. Elle a soixante-dix ans et elle se retrouve seule dans sa maison à faire le tri dans les affaires de son époux. Elle tombe sur une photo dans le livre de Céline Voyage au bout de la nuit. Sur cette dernière, elle aperçoit le visage de son frère, jeune. Elle pense alors aux sentiments qui la liaient à celui qu’elle a aimé en France alors qu’elle vit aux États-Unis, à Brooklyn. Judith a une amie, Janet, sa voisine de 10 ans son aînée. Cette dernière est exubérante, colorée, animée. Janet propose à Judith de faire un voyage organisé pour la divertir. Au cours de ce voyage où les personnes âgées sont infantilisées, Judith et Janet vont échanger sur des sujets qui s’avèrent hors convenance pour leur âge selon la société. Au retour de ce voyage qu’elle n’a pas apprécié, Judith décide d’aller en France pour retrouver son frère, celui sur la photo, car elle souhaite faire la paix avec lui. Y arrivera-t-elle après toutes ces années?

Mes impressions
En Amérique du Nord, il est courant d’entendre les gens de soixante-dix ans et plus parler de sexualité. Mais, en Europe, il semblerait (mon conjoint est de nationalité belge) que c’est différent. Alors, j’ai bien aimé l’opposition de perception entre Judith et Janet. Judith représente les traditions et les mentalités européennes où les 3 D dominent (docilité, domesticité, délicatesse) tandis que Janet, la flamboyante, malgré ses 80 ans, n’hésite par à parler de sexualité, de sensualité et de désir. Elle vit sous le signe de la liberté. Les dialogues entre les deux femmes apparaissent en ce sens très divertissants pour l’instance lectrice.
Voici deux exemples :
Janet mentionne : «Des conneries, pour nous faire peur, le désir et le plaisir n’ont pas de date de péremption, […]». (p. 124-125)
Et Judith ressent ceci après avoir vu son amie faire un geste qu’elle considère indécent pour exprimer le mouvement : «La chaleur envahit mes joues, je n’avais pas rougi depuis des siècles, cette conversation dépassait les bornes, deux septuagénaires parlant de cul au petit-déjeuner, ça ne ressemblait à rien» (p. 125)
Mais, j’ai eu un petit peu de difficulté à m’intéresser au vécu de Judith. Sauf, à la fin du récit où il est question de sa famille immédiate (mère, frère, beau-père) et de son premier amour Hilal. Je me suis réconciliée avec elle.
Par ailleurs, le thème du fil de la vie tissant des liens entre les êtres humains m’apparaît fondamental dans cette histoire. Il y a d’abord le lien du mariage qui n’est plus mais qui a été, celui entre Judith et sa cousine Julia, celui entre les membres d’une famille, celui entre Judith et Janet, etc. Malgré le temps qui passe, malgré les amis perdus de vue, mais qui détiennent une place capitale dans notre passé, les liens demeurent. Le fil de la vie, c’est un peu et surtout cela.
«Car, comme tu me l’as dit, aussi imprévisible et inexplicable que la durée de vie des êtres est la durée de vie des relations qui les lient.» (p. 311)
Un livre intéressant qui jette un regard autre sur la vieillesse, sur le droit d’être un être humain à part entière. Les vieux ont le droit de vivre pleinement leurs émotions et de les exprimer.
«Et tu sais le pire, nos émotions n’existent pas, pleurer par exemple; puisqu’il ne nous arrive plus rien, pourquoi pleurer, c’est indécent une vieille ou un vieux qui pleure, c’est moche, c’est honteux; […]. Quoi qu’il en soit, ce dont il faut toujours se réjouir Isle, à n’importe quel âge, c’est d’avoir simplement vécu». (p. 233)
Je vous le recommande si vous avez envie de découvrir deux personnages aux personnalités très différentes et qui ont certainement quelque chose à vous dire.
L’avez-vous lu? Avez-vous déjà plongé dans un bouquin de Céline Curiol?
Bien à vous,
Madame lit
Céline Curiol, Paris, Babel/Actes Sud, 2018, 323 p.
ISBN : 978-2-330-09707-3
Vous avez remarqué une faute dans mon article? Écrivez-moi à lit.madame@gmail.com et il me fera plaisir de la corriger. Je ne suis pas parfaite… et il m’arrive aussi d’en faire. Merci et bonne lecture!!!
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Je n’ai pas lu ce livre mais je viens de trier une pile de magazines laissées par mes parents, et oui il faut trier, jeter, garder… ce sont des magazines pour « retraités » il y a chaque mois un article sur la sexualité donc pas si tabous que ça ? A bientôt
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Je suis bien contente de l’apprendre. Je vais le dire à mon conjoint. 😉 Mais en parle-t-on ouvertement, par exemple, en famille? Ici, oui. Les personnes âgées n’hésitent pas à aborder ce sujet et leur sexualité.
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Non, mais même les plus jeunes ne parlent guère sexualité ; peut être les ados et encore entre eux ou auprès d’un de leur parent. Ce n’est pas un sujet abordé à table, par exemple.
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D’accord. Merci de la précision! 🙂
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J’aime bien ton article et tu peux comprendre que ce que je retiens surtout c’est le thème du fil de la vie. J’ai le goût de lire ce livre…
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C’est un livre que tu trouverais certainement délicieux. J’ai souri à quelques endroits. Bonne lecture!
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Si tu avais connu mon beau-père, tu aurais changé ta vision sur les Européens d’un certain âge et la sexualité 😉 Plus sérieusement, je pense que ça dépend déjà du pays d’Europe… en Belgique, je n’ai jamais eu l’impression que c’était un tabou… on n’en fait pas spécialement un sujet de conversation principal, mais si ça entre dans la discussion, ce n’est pas évacué en 2 secondes.
Sinon, ce roman m’attire assez bien, j’en prends note! Merci!
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Je sais… Éric m’a un petit peu parlé de ton beau-père ;). Dans la famille d’Éric, pas question d’aborder ces sujets avec les personnes âgées. Comme tu dis, cela doit dépendre du pays en Europe. Mais dans ce livre, les deux femmes sont assez stéréotypés par rapport à la sexualité (Europe, Amérique). Bonne lecture alors!
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J’ai bien envie de découvrir ces visions différentes de la vieillesse sous tous ces aspects ! Le fait qu’il y ait aussi de l’humour me plaît.
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L’autrice dans la première partie a recours à l’humour comme procédé par le biais des dialogues entre les deux femmes. Cela donne des conversations loufoques!
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Bonjour Nathalie, j’avais apprécié un livre de Céline Curiol « Un quinze août à Paris » où elle abordait le récit de sa dépression. Un excellent livre, très intelligent ! Je ne suis pas sûre d’être intéressée par la sexualité des personnes âgées, mais s’il y a de l’humour pourquoi pas !
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On fait juste aborder la sexualité. Elle n’est pas traitée en profondeur. Elle sert plutôt à créer de drôles de discussion. Je n’ai pas lu «Un quinze août à Paris». Si tu me dis qu’il est bien, je vais peut-être le lire. Merci Marie-Anne!
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Oui, il est très bien ! Mais sûrement moins drôle que « les vieux ne pleurent jamais » car le sujet est la dépression… Quand on est (ou qu’on a été) concerné, c’est un livre essentiel. Très bonne soirée, Nathalie !
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