Madame lit Anne Hébert, si tu veillais ma tristesse d’Anne Peyrouse
« Écrire, c’est malmener la mort. S’approcher des cadavres pour mieux jouer aux osselets.» (p. 11)
Chère Lectrice, Cher Lecteur,
Lors de l’événement littéraire « Le 12 août, j’achète un livre québécois », en 2024, je me suis procurée, entre autres, Anne Hébert, si tu veillais ma tristesse d’Anne Peyrouse. Comme je suis une grande admiratrice de l’œuvre d’Anne Hébert (1916-2000) depuis des décennies, alors il fallait que je découvre ce livre et cette autrice que je ne connaissais pas. Il importe de rappeler que j’ai travaillé durant la rédaction de mon mémoire de maîtrise sur un livre d’Anne Hébert, Les chambres de bois. Alors, le pays de Catherine, il me parle beaucoup…
Tout d’abord, qui est Anne Peyrouse ?
Selon le site des Éditions Hamac :
« Anne Peyrouse a publié plusieurs recueils de poèmes et de nouvelles. Elle a fait paraître des anthologies sur le slam, la poésie amoureuse et la poésie humoristique. Elle a gagné plusieurs prix littéraires dont le prix Piché de poésie et le prix Félix-Leclerc. Elle a également reçu le Prix d’innovation en enseignement de la poésie 2015, décerné par le Festival international de la poésie de Trois-Rivières. Durant plusieurs années, elle a écrit pour diverses revues littéraires et pédagogiques et elle a été directrice littéraire des maisons d’édition Le Loup de Gouttière et Cornac, section poésie. Elle enseigne la création littéraire à l’Université Laval au département de littérature, théâtre et cinéma. Elle tient également son site web personnel, annepeyrouse.com. »
Comme vous pouvez le constater, cette dernière n’est pas une inconnue du milieu littéraire québécois.
Anne Hébert, si tu veillais ma tristesse
La mère de l’autrice, Nicole Derail est décédée le 23 avril 2020 en pleine pandémie. Elle était seule dans son appartement lorsqu’elle a chuté et qu’elle s’est retrouvée dans un état comateux. Sa fille, Anne Deyrouse, vivait tout près de son appartement et elle va découvrir sa mère couchée presque morte sur le sol. Les ambulancier.è.res l’amènent à l’hôpital, mais sans sa fille, car la COVID règne et personne autre que le personnel autorisé ne peut franchir les portes des institutions de la santé. Puis, il y a le débranchement entre la machine qui alimente la vie et la mère, car le cerveau de cette dernière baigne dans le sang (hémorragie cérébrale). Comment vivre ce deuil lorsque l’adieu s’avère impossible, lorsque l’on ne s’attend pas à perdre sa mère d’une façon aussi brutale ? Anne Hébert est morte le 22 janvier 2000. Nicole et Anne avaient 83 ans au moment de leur décès. Ces dernières sont deux mères pour l’autrice. La première est la mère réelle, la seconde est la mère littéraire. Lorsque l’autrice perd sa mère en 2020, elle décide de rédiger un livre sur l’impact de la perte de ses mères. Ainsi, elle tisse des liens entre les deux femmes pour transiger avec la mort, pour tenter de l’apprivoiser. Que ce soit au Québec ou en France, l’autrice exorcise ses défuntes par le biais de ses mots.
Mes impressions
Dès que j’ai ouvert ce livre et que j’ai commencé à le lire, je me suis dit que j’allais vivre une expérience littéraire importante, marquante. Comme l’autrice dans cette autobiographie, je jongle avec les morts. Je sais que la littérature est mon salut, elle l’a toujours été. L’autrice mentionne à propos de la mort de ses mères :
« Nicole, tu flottes dans ce livre en état d’être et de non-être.
Anne Hébert, aussi. » (p. 115)
En ce sens, écrire permet à l’autrice de pleurer ses défunt.es», car ces deux femmes l’ont accompagnée durant toute son existence. Ode aux femmes oui, mais aussi au courage que cela prend pour vivre un deuil : surtout celui de celle qui nous a donné la vie. L’écriture crée cet espace qu’il nous faut pour plonger au cœur de ses racines et de son être. L’autrice demandera à ses mères de veiller sur elle. L’écriture permet aussi cela.
« Nicole Derail, Anne Hébert, je les côtoie sans aucun malaise, malgré le poids de leur cadavre. Je ne regrette ni leur vie ni leur silence. Elles me veillent ». ( p. 81)
Cette autobiographie est divinement écrite. J’ai savouré chacune des phrases, chacun des mots comme « étale ». S’il y a un mot que j’affectionne particulièrement, c’est aussi étale. En lisant Deyrouse, j’ai compris la raison de cette affection pour ce terme.
« La neige nous met en magie, blancheur étale, plumes
gonflées où perce l’œil rouge de cet oiseau »
(Anne Hébert, « Neige » tiré de Mystère de la parole, 1960)
J’ai déjà présenté ce poème sur ce blogue. Cliquez sur « Neige » pour le consulter.
Des poèmes entrecoupent le récit pour l’illuminer. Anne Peyrouse manie les mots avec élégance et la lectrice ou le lecteur reconnaît l’expérience derrière le texte. Ce livre conjugue prose et poésie et c’est merveilleux.
Je n’avais jamais rencontré une autre passionnée d’Anne Hébert comme je le suis. J’étais présente lors de l’ouverture du Centre d’étude Anne Hébert à l’Université de Sherbrooke, car j’espérais rencontrer mon idole littéraire. J’y avais donné une conférence sur le personnage adolescent dans Les chambres de bois. Mais Anne Hébert était trop malade pour y être. Je suis jalouse de Peyrouse, car elle a pu obtenir une dédicace d’elle… C’est précieux. Anne Hébert dans le récit apparaît comme l’entité consolatrice, car l’autrice se réfugie auprès des mots de cette dernière et de son vécu pour transiger avec son trauma. En ce sens, la littérature peut combler nos vides existentiels lorsque ces derniers sont habités par nos fantômes.
En tous les cas, je suis contente d’avoir acheté ce livre, car je sais que je vais y revenir lorsque le besoin se fera sentir.
Je partage avec vous un très bel extrait exprimant mes rêves. Il apparaît un peu long, mais il mérite d’être apprécié par vous, les amoureuses et les amoureux de la littérature :
« Aujourd’hui, la liberté s’imposera et créera des existences fortes. Les librairies et les bibliothèques seront pleines. Les pages des livres, les critiques littéraires et les recensions rempliront les actualités et journaux télévisés. Nous parlerons littérature. Les écrivain.e.s seront nos porte-voix, nos étendards, nos virements, nos respirations et nos enfants – petit.e.s et grand.e.s.
Il n’y aura plus de partis politiques, d’élections, de pouvoirs ; uniquement de la littérature.
Les feuilles des arbres seront papiers écrits et révisés. Nous croquerons dans les fruits devenus vers libres de poètes, grands slams et chansons drôles.
Les herbes se marcheront comme sur des quatrièmes de couverture. Et les manuscrits deviendront nos vêtements amples à porter et à tournoyer. Nos têtes ouvriront des résidences d’écriture. Des foyers lumineux de métaphores et de périphrases.
Nous ne traverserons pas la vie mais les mots. » (p. 43)
Et cette belle déclaration d’amour à la littérature et à l’écriture continue…
Je vous recommande ce livre :
- Si vous voulez découvrir un tour de force de style d’écriture
- Si vous souhaitez plonger dans un livre où la littérature tente de guérir l’âme blessée
- Si vous aimez les récits où la prose côtoie la poésie
J’ai tout aimé de ce livre d’une grande portée universelle.
Que pensez-vous de cette autobiographie et du lien entre les deux mères ?
Bien à vous,
Madame lit
Anne Hébert, si tu veillais ma tristesse
Anne Peyrouse, Montréal, Hamac, 2024, 176 p.
ISBN : 978-2-925311-42-3
Vous avez remarqué une faute dans mon article ? Écrivez-moi à lit.madame@gmail.com et il me fera plaisir de la corriger. Je ne suis pas parfaite… et il m’arrive aussi d’en faire. Merci et bonne lecture !!!
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Très convaincue…Merci Nathalie…
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Je crois que tu vas adorer…. Anne Peyrouse est une poète aussi.
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L’extrait que tu cites à la fin de ton article est magnifique. Pour le reste, ce doit être un bel hommage à sa mère et à celle qui l’a tant inspirée en tant qu’écrivaine.
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Tu as bien compris l’essence de ce magnifique livre. Un gros coup de ❤️ pour moi.
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Oui, je veux bien croire. Je sais qu’Anne Hébert est importante pour toi, et cet hommage, qui a l’air très bien écrit, doit d’autant plus te toucher.
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Que oui… Je devais absolument lire ce dernier. Comme Anne Peyrouse, Anne Hébert est probablement aussi ma mère littéraire. Elle qui n’a pas eu d’enfant… Nous devons être toutes ses filles de lumière. ❤️
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C’est une très belle manière de voir les choses ❤️
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As-tu lu Il pleuvait des oiseaux De Jocelyne Saucier et vu le film avec votre regrettée Andrée Lachapelle?
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J’ai lu le livre et j’ai vu le film. J’ai beaucoup aimé les deux… Et toi ?
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Coup de cœur fou, poésie à l’état pur là aussi…
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Alors je suis très contente de l’apprendre. J’ai vécu de belles émotions en lisant « Il pleuvait des oiseaux ». Et que dire de la belle Andrée Lachapelle se baignant dans le lac en toute liberté et joie ! Merci ! ❤️
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Je l’ai découvert ce film sur Air Transat en allant chez vous…
J’en suis restée émue profondément.
Je l’ai loué et regardé une seconde fois et lu le livre ensuite.
Et j’ai loué tout Louise Archambault ensuite!
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Tant mieux! Alors il va falloir revenir pour faire d’autres merveilleuses découvertes!!! 😉
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c’est prévu!
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On essayera de se voir ! 🙂
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Quel merveilleux rêve !
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N’est-ce pas ? 🙂
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Bonjour Nathalie, ta chronique est très enthousiaste et je le comprends car j’apprécie beaucoup Anne Hébert, moi aussi ! Ses poèmes sont magnifiques et il faut les lire et les relire encore 😊 C’est vrai que la littérature peut être salvatrice ! Merci 🙏 Belle journée à toi 📚🌞✨️🤩
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Merci Marie-Anne. Anne Deyrouse, l’autrice de ce livre, est aussi une poète, comme toi! C’est un excellent livre tout en poésie et en émotions! Bonne semaine!!!🙏🏻📖
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