Chère lectrice, Cher lecteur,
Dans le Top 100 de mes livres préférés figure un livre majeur du vingtième siècle : Capitale de la douleur de Paul Éluard. Ce recueil a été publié en 1926 alors que la France apparaît caractérisée par le mouvement surréaliste. En ce sens, l’homme tente par son imaginaire de reconstruire et de dépasser la réalité. Les thèmes du romantisme reviennent dans les écrits des surréalistes tout en s’inscrivant dans une perspective moderne. Les auteurs de cette époque cherchent également à s’évader du réel par le biais de l’esprit ou du voyage. Je me suis rendue compte que je n’avais jamais rédigé un billet sur ce dernier. Alors, cette semaine, j’ai tenté d’aborder ce recueil de poésie à travers des thématiques comme le rêve et le sommeil, la guerre, la peinture.
Dans ce recueil, la lectrice ou le lecteur fait l’expérience du rêve. D’ailleurs, ce sujet apparaissait très à la mode dans les années 20, entre autres, à cause des découvertes de Freud. L’être humain est donc tenté de découvrir son inconscient et ce qui le peuple. En ce sens, le pouvoir et la puissance des mots permettent à certains de pousser plus loin la recherche de l’identité et du moi profond. Ainsi, la présence du rêve dans des poèmes du recueil s’avère très pertinente. Par exemple, c’est dans la partie «Mourir de ne pas mourir», dédicacée à André Breton, que le rêve apparaît sous sa forme la plus magnifiée. Voici un extrait de «Silence de l’évangile» :
«Nous dormons avec des anges rouges qui nous montrent le désert sans minuscules et sans les doux réveils désolés. Nous dormons. Une aile nous brise, évasion, nous avons des roues plus vieilles que les plumes envolées, perdues, pour explorer les cimetières de la lenteur, la seule luxure.» (p. 68)
Ce recours à la thématique du rêve permet à l’homme de s’évader des horreurs du quotidien, de décrire les images de son moi, de redonner une saveur à la vie, de ramener un côté merveilleux à l’existence. L’homme n’est plus figé dans les contraintes du temps présent, mais il peut se permettre de voguer sur les eaux de la fantaisie et de renommer ce qu’il perçoit avec ses mots.
Si on aborde le rêve, il s’avère difficile de le dissocier du sommeil. À cet égard, les deux thématiques sont presque indissociables et la poésie des surréalistes n’y échappe pas. Les poètes tentent d’apprivoiser cet espace de repos, cette nuit qui leur révèle leur être. Dans «Ne plus partager», la lectrice ou le lecteur peut percevoir la crainte par rapport au sommeil.
«Je distingue le jour de cette clarté d’homme
Qui est la mienne,
Je distingue le vertige de la liberté,
La mort de l’ivresse,
Le sommeil du rêve,
O reflets sur moi-même! ô mes reflets sanglants!» (p. 90)
Le poète semble confronté à un voyage intérieur encore inexploré caractérisé par l’inconnu, devant une mort, l’espace de quelques heures.
À d’autres endroits, dormir peut devenir néfaste parce que cela implique une passivité de l’être. Le sommeil est à la fois un lieu exploratoire mais lorsqu’il se vit éveillé, il s’inscrit dans un état d’inertie, souvent bien dangereux pour ceux souffrant de l’indifférence humaine. Le sommeil peut être perçu comme négativement et le rêve positivement.
«[…], la cavalcade sanglante et plus douce au coeur de l’homme averti de la paix que la couronne des rêves insouciante des ruines du sommeil. » (p. 121)
On peut sentir cette dualité entre le sommeil et le rêve dans cette citation.
La guerre est abordée aussi dans le recueil d’Éluard. Les horreurs de la Première Guerre mondiale se retrouvent dans ce dernier. Dans «Paris pendant la guerre», on sent bien la monstruosité de la guerre.
«Les bêtes qui descendent des faubourgs en feu,
Les oiseaux qui secouent leurs plumes meurtrières
Les terribles ciels jaunes, les nuages tout nus
Ont, en toute saison, fêté cette statue». (p. 108)
Une des missions des surréalistes était de reconstruire l’homme nouveau après une période très sombre de l’humanité. Libérer par les mots le monde d’hier pour faire naître le monde de demain.
De plus, la poésie a tenté, comme en peinture, d’accéder à l’inconnu. Beaucoup de poèmes dans la partie «Mourir de ne pas aimer» sont associés à des peintres s’inscrivant dans la même démarche artistique qu’Éluard. Picasso, Braque, Chirico, Klee, Arp, Masson, Miro et Max Ernst figurent dans les poèmes d’Éluard. Par exemple, dans le poème «Pablo Picasso», les images proposées tentent d’insuffler au réel une nouvelle dimension :
«Le visage du coeur a perdu ses couleurs
Et le soleil nous cherche et la neige est aveugle.
Si nous l’abandonnons, l’horizon a des ailes
Et nos regards au loin dissipent les erreurs.» (p. 96)
Peintres et poètes ont tous comme but d’amener leur imaginaire à dépasser le réel. Démolir la réalité afin de faire de l’impossible un possible.
Mais encore, les surréalistes ont tenté de briser les cadres afin d’ouvrir l’esprit à une nouvelle réalité. Les images d’Éluard explosent afin de briser tout ordre linéaire. Le dernier poème du recueil ouvre les portes de l’amour, de l’amour pour l’humain, de l’amour pour l’amour, de l’espoir de l’Amour par le biais du recours au tu.
«[…]
À toi qui n’as pas de nom et que les autres ignorent,
La mer te dit : sur moi, le ciel te dit : sur moi,
Les astres te devinent, les nuages t’imaginent
Et le sang répandu aux meilleurs moments,
Le sang de la générosité
Te porte avec délices.
Je chante la grande joie de te chanter,
La grande joie de t’avoir ou de ne pas t’avoir,
La candeur de t’attendre, l’innocence de te connaître,
O toi qui supprimes l’oubli, l’espoir et l’ignorance,
Qui supprimes l’absence et qui me mets au monde,
Je chante pour chanter, je t’aime pour chanter
Le mystère où l’amour me crée et se délivre.
Tu es pur, tu es encore plus pur que moi-même. » (p. 141)
C’était ma présentation d’un recueil de poésie marquant, beau et qui ne cesse de me faire grandir en tant qu’être humain. Le mystère de la beauté de la poésie, c’est peut-être ça…
Qu’en pensez-vous?
Bien à vous,
Madame lit
ÉLUARD, Paul. (1966). Capitale de la douleur, L’amour de la poésie. Paris: Poésie Gallimard, 246p.
ISBN 2-07-0 30095-1
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Un délice avec les mots comme ce texte de la page 121. Le tableau est magnifique. C’est du nouveau pour moi ce moment de poésie. Merci pour cette découverte suite aux mots que tu emplois pour nous introduire à cette poésie.
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Éluard est un magnifique poète. Ses poèmes sont des pépites d’amour et de lumière. Notre monde en a besoin. Merci!
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Quel livre merveilleux !
Jeune adulte, j’étais plutôt fâchée avec la poésie, et aujourd’hui encore ce n’est toujours pas mon genre préférée, mais la Capitale de la Douleur m’y a réellement ouvert !
Tu me donnes envie de le relire ! J’avais adoré !
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Tant mieux si je te redonne envie d’y replonger. Grâce à mon top 100, c’est ce que j’ai fait car je me suis rendue compte que je n’avais jamais rédigé d’article sur ce dernier. La poésie d’Éluard m’accompagne depuis presque 30 ans. C’est probablement mon poète français préféré… Merci!
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Avec plaisir !
Ah oui il faut te mettre à jour alors si tu n’as pas parlé de tout hihihi
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Quel magnifique recueil de poésie ! Je l’avais également mis dans mon Top 100 et je le relis souvent depuis ces vingt ou trente dernières années. Il parle merveilleusement bien de l’amour et des sentiments.
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Je le crois bien aussi… Merci pour ton commentaire Marie-Anne. Au plaisir!
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Merci 🙂 bonne journée Nathalie !
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C’est aussi l’un de mes recueils préférés… je ne m’en lasse jamais.
Ingannmic (https://bookin-ingannmic.blogspot.com/)
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Merci! On se comprend alors…
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