Madame lit Autoportrait d’une autre d’Élise Turcotte
«Le 2 avril 1986, ma tante se rend à la station Berri-de-Montigny et se jette devant le métro». (p. 60)
Chère lectrice, Cher lecteur,
J’ai demandé de recevoir en service de presse dans le cadre de la rentrée littéraire 2023 chez Alto, Autoportrait d’une autre d’Élise Turcotte. D’ailleurs, je tiens à remercier la maison d’édition pour sa confiance. J’avais déjà lu de cette autrice Le parfum de la tubéreuse et j’en garde un excellent souvenir. Alors, je voulais renouer avec la plume d’Élise Turcotte, avec sa perception du monde et avec son style poétique.
Autoportrait d’une autre d’Élise Turcotte
La narratrice, une écrivaine, a une tante qui a vécu une vie pour le moins palpitante entre le Québec, la France et le Mexique. Denise Brosseau a fréquenté de grands artistes et elle voulait devenir philosophe. Cependant, cette dernière souffrait de maladie mentale. Elle s’est enlevée la vie en se jetant devant un métro à Montréal. Plusieurs années après, sa nièce entreprend une quête : découvrir qui elle était et la mettre en lumière, car l’Histoire semble l’avoir effacée. Pour ce faire, elle se rend au Mexique rencontrer son cousin Esteban pour en apprendre davantage sur celle qui ne cesse de la hanter. Elle visite par le fait même les lieux qu’a fréquentés sa tante Denise et a accès à quelques lettres que cette dernière a échangées avec le grand poète québécois Gaston Miron.
Mes impressions
Je dois tout de suite avouer que j’ai été profondément bouleversée par ma lecture. Ce livre parle, entre autres, de mémoire. Que gardons-nous comme souvenir des êtres qui nous ont quittés, qui ont eu un impact dans notre vie? Et qui ont quitté ce monde d’une façon brutale sans laisser un mot? Ou encore, que reste-t-il des lieux que nous avons visités, des livres que nous avons lus? Est-ce que l’écriture permet de ne pas oublier, de devenir «ce linceul de mots» pour que rien ne s’efface? Comme le soulève la narratrice :
«Dans mon cahier vert, quelques dates ont été écrites à la hâte. Au cas où. Avant et après mon dernier voyage à Mexico. Même, surtout, quand je souhaitais m’éloigner du texte. C’est que le monde disparaît peu à peu, et que cela m’affole de plus en plus. Réveiller la vie avant qu’il soit trop tard. Accumuler les preuves d’existence là où on les trouve. Citer tous les livres lus pour que tout ne s’efface pas. » (p. 187)
Depuis 2008, la narratrice souhaite parler de sa tante, faire revivre son extraordinaire destinée soit par le biais d’un film ou d’un livre. Elle désire répondre à une interrogation :
«Je dépose des cendres de mots dans le confluent des rivières. Si j’arrive à répondre à qui étais-tu, peut-être que je pourrais réparer quelque chose». (p. 47)
Et puis, il y a la culpabilité d’être en vie et qu’on se doit d’écrire pour chercher à l’exulter.
Comment un fantôme peut-il à ce point poursuivre quelqu’un? J’ai été émue de découvrir le lien entre Denise et Gaston Miron et de lire que c’est Marie-Andrée Beaudet qui a parlé à la narratrice de se lancer dans la rédaction de ce livre. Il faut dire que j’ai eu le privilège de suivre un cours à l’Université Laval sur Réjean Ducharme donné par cette dernière. Et j’apprends dans ce récit que Réjean Ducharme a été au Mexique rendre visite à Denise. À travers cet autoportrait, la narratrice m’a permis de visiter mes souvenirs et de renouer avec certains éléments de mon passé.
Un autre exemple, elle aborde son séjour dans le chalet de Gabrielle Roy à Petite-Rivière-Saint-François. Elle relate l’incendie qui a enlevé la vie à 9 enfants en 1946 dans le village. J’ai grandi avec cette histoire. J’ai passé plusieurs fois devant la croix qui est située tout près de l’église pour souligner leur départ. Encore une fois, ce récit s’adressait à ma mémoire…
Et que dire de Denise? Cette femme très belle qui a quitté Sorel avant d’avoir vingt ans pour étudier le mime à Paris et qui a épousé à l’âge de 24 ans le cinéaste Alejandro Jodorowsky. Puis, au Mexique, elle a épousé le peintre Fernando García Ponce avec qui elle aura un fils. Denise a lutté toute sa vie contre la maladie mentale et elle a même été internée dans un hôpital psychiatrique. Pour raconter son histoire, la narratrice n’hésite pas à interroger la vie, les livres, les êtres vivants, les archives, etc. Elle entraîne l’instance lectrice dans un processus réflexif grâce à la forme du texte. Mais encore, la lectrice ou le lecteur apprend aussi que Denise a travaillé comme barmaid à Paris, qu’elle a été la grande amie de Pauline Julien et de Gérald Godin. Une vie bien intéressante qui s’est terminée de la façon la plus tragique car la folie, comme bien souvent, a gagné la guerre.
Je ne peux que vous recommander cette lecture. C’est puissant, c’est une histoire qui mérite d’être lue car elle parle de vous, de nous, de moi… C’est une histoire personnelle qui tangue vers l’universel… Denise Brosseau ne sera jamais oubliée grâce à cet autoportrait. Elle brille à côté des grands artistes qu’elle a fréquentés. Elle peut maintenant illuminer le ciel dans une constellation qui porte désormais son nom car :
«Les livres parlent d’apparition et de disparition,
comme le cinéma et le théâtre.
Celui-ci n’est pas tout à fait un roman
ni un récit.
C’est la descente dans un puits,
une cérémonie mexicaine,
une enquête dans la ville.
C’est une photo où une femme apparaît
en personnage oublié.
Une boîte enchantée où mon visage
se dessinerait s’il le pouvait
dans un miroir inversé.»
Connaissez-vous les livres d’Élise Turcotte? Avez-vous envie de lire Autoportrait d’une autre?
Bien à vous,
Madame lit
Turcotte, É. (2023). Autoportrait d’une autre. Alto.
ISBN : 978-2-89694-634-1
Vous avez remarqué une faute dans mon article? Écrivez-moi à lit.madame@gmail.com et il me fera plaisir de la corriger. Je ne suis pas parfaite… et il m’arrive aussi d’en faire. Merci et bonne lecture!!!
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L’écriture semble très belle, en tout cas, les extraits que tu as mis sont attirants. Je ne connais pas cette écrivaine, encore une à découvrir 😊
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Oui! Elle possède une très belle plume. Merci!!!
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La personnalité de Denise Brosseau a l’air complexe et passionnante. Je ne connais pas non plus cette autrice, mais tu en parles si bien !
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En effet, la personnalité de Denise Brosseau semble complexe et fascinante en même temps. Merci pour le commentaire! 🙂
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C’est une très belle chronique ! Le sujet de l’art, de la poésie et de la maladie psychique me touchent tout particulièrement…
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Oui… et je comprends… J’ai été très touchée aussi. Merci Marie-Anne et bonne semaine!
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