Madame lit Mudwoman de Joyce Carol Oates

Mudwoman
de Joyce Carol Oates
«On ne peut jamais prévoir la fin à la lumière du commencement». (p.361)
Chère lectrice, Cher lecteur,
En mars, mon club de lecture s’est penché sur Mudwoman de Joyce Carole Oates. Sur ce blogue, j’ai déjà abordé deux livres de la célèbre autrice américaine. Ainsi, Les chutes et Blonde (un roman basé sur la vie de Marilyn Monroe) ont été des lectures marquantes. J’ai été ébahie par la plume de Oates et par ses univers bien particuliers où règnent les peurs (intérieures des personnages ou collectives), l’Amérique, les tourments de personnages, etc. À cet égard, j’étais enchantée de poursuivre ma découverte de l’oeuvre d’Oates.
« We work in the dark; we do what we can. Our doubt is our passion and your passion is our task. The rest is the madness of art.»
Citation d’Henry James, que Joyce Carol plaçait sur son bureau
Cette folie de l’art, la lectrice ou le lecteur, la ressent d’une manière très puissante durant sa lecture de Mudwoman.
Mais avant d’expliquer les raisons me poussant à me pencher sur la folie, je vais présenter un résumé du livre.
Mudwoman
Mudgirl (fille-boue), une fillette, est abandonnée par sa mère possédée par un délire mystique dans des marais de la Blake Snake River dans les Adirondacks aux États-Unis. Alors qu’elle était en train de mourir étouffée par la boue, un trappeur la sauve. Ensuite, l’enfant est recueilli par un couple de quaker qui l’adopte et lui donne le nom de sa fille décédée : Meredith Ruth Neukirchen (M.R. -Mister?). La fillette grandit en vivant dans la religion quaker. Elle devient une femme, Mudwoman (la femme-boue) forte, intelligente, et elle accède à un prestigieux poste en devenant la première femme présidente d’une université aux États-Unis au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Alors qu’elle se rend pour donner une importante conférence non loin de la ville de ses parents adoptifs, Meredith décide de louer une bagnole pour explorer les environs. Elle a un accident, ce qui l’empêche de présenter son discours. Son accident semble déclencher en elle une crise, car il apparaît très difficile d’enfouir son passé dans les méandres de son âme. Les souvenirs refont surface en même temps que Meredith assume ses nouvelles fonctions et en luttant contre la misogynie de ses pairs. Très stressée, Meredith développe une dépression nerveuse à la suite d’une tentative de suicide d’un étudiant sur le campus. Comment s’en sortira-t-elle? Dans quelle spirale infernale la jeune femme est-elle entraînée? Qui pourra l’aider à s’en sortir? Qui l’aimera finalement?
Mes impressions
Ce livre m’a marquée et je vais m’expliquer en deux temps à partir de la crise intérieure qui habite Meredith; ensuite, je vais m’attarder à la crise collective sévissant aux États-Unis.
La crise intérieure : En occupant les fonctions de présidente d’une université, Meredith est confrontée à un éclatement de ses valeurs. En ayant grandi dans une famille marquée par la religion quaker prônant l’égalité entre les êtres, la non-violence, les idéaux, la compassion, l’entraide, la bonté, le silence, le calme, etc., elle tombe dans un milieu conservateur, misogyne, loin de ses valeurs progressistes. En essayant d’aider un étudiant frisant la folie, elle ne respecte pas ses fonctions et les conseils juridiques. En plus, l’étudiant rate sa tentative de suicide et il est plongé dans le coma. Il est maintenu en vie par un respirateur artificiel. Ce drame l’amène à explorer celui qu’elle a vécu enfant. Elle a été jetée dans la boue par sa folle de mère. La boue est partout dans le livre. Elle définit Meredith (Mudgirl, Mudwoman), elle l’entraîne dans une rêverie associée à l’intériorité, à un retour à la mort et elle lui permet de se cacher, d’accéder au mystère. Le chapitre où Meredith se maquille s’avère en ce sens très représentatif. Voici le résultat :
«Elle était haletante, distraite et agitée comme si on l’avait brutalement tirée d’un rêve. Sa tenue…n’était pas vraiment débraillée, mais quelque chose laissait à désirer – et ses cheveux, eux, étaient ébouriffés comme si elle avait à peine eu le temps de se donner un coup de peigne et son visage – le pauvre visage ravagé de M.R.! – la trahirait en fin de compte car il était étrangement enflé autour de la bouche et mouillée en hâte, étrangement, avec une sorte de pâte qui, en séchant, avait foncé comme de la boue. Finie la Walkyrie au visage rayonnant, son visage ressemblait maintenant à l’un de ses visages-masques primitifs des Demoiselles d’Avignon de Picasso. (p. 362)
Source : Wikipédia
La lectrice ou le lecteur semble se retrouver dans un monde inversé au sens hégélien du terme où elle ou il est confronté à un jeu de contradictions entre ce qui est démontré et ce qui est caché. Le rôle de la boue engendre une rêverie associée au masque, à la folie. Meredith masque sa dépression nerveuse à ses collègues. La rêverie de la boue est profondément morbide…
La boue entraîne vers des profondeurs où la descente peut être infinie et elle engendre la mort par étouffement. C’est une image puissante de lutte contre la nature, un retour vers un ailleurs primitif. Et Meredith a été projetée dans la boue enfant. Sa mère voulait la tuer. C’est un acte puissant car celle qui l’a mise sur la Terre la retourne à la terre. Sa descente vers l’intériorité de son être l’amène à essayer d’exulter son imposture, mais aussi à tenter de trouver un peu d’apaisement relié au geste maternel.
Son père adoptif va l’aider à guérir un petit peu de sa dépression nerveuse. En ce sens, Meredith s’éloigne de la terre de la mère pour rejoindre une dialectique associée au père en tant que sauveur.
Le livre par le biais de son héroïne entraîne la lectrice ou le lecteur dans un thriller psychologique vertigineux et l’autrice joue avec son inconscient en explorant ce qui est tolérable et ce qui ne l’est pas. Comment survivre à l’horreur?
Crise collective : Au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre, les États-Unis plongent dans une crise les entraînant dans une guerre contre l’Irak. Les actes des terroristes servent à légitimer la guerre. Le peuple s’avère alors victime d’une annihilation. Cette crise collective, Meredith la ressent. Elle vient encercler celle qu’elle vit. Comme le remarque l’instance narratrice :
«Il y a aussi de la pauvreté en Amérique -et pas seulement économique. Une pauvreté d’esprit.» (p. 264)
Et le gouvernement américain de l’époque mentionne qu’il va déclencher la guerre en Irak au nom de la liberté. Les Américains n’apparaissent plus libres dans leur pays, car ils ne se sentent plus en sécurité selon le gouvernement. Alors, il faut s’en prendre au mal. En ce sens, la montée de l’extrême droite aux États-unis se vit aussi dans les universités américaines. La dépression nerveuse va de pair avec cette idéologie, car Meredith se sent menacée par ses collègues qui ont des valeurs plus conservatrices et ils sont en faveur d’une «morale individuelle plus stricte». Alexander Stirk représente ce retour aux valeurs plus strictes et il en fait la promotion sur le campus. Il est à l’opposé des valeurs progressistes de Meredith. Pour elle, il a des problèmes et elle doit l’aider. La crise aux États-Unis a des impacts sur les individus comme Alexander.
Je pourrais encore continuer longtemps à parler de ce livre tant il y a à dire… C’est un livre rempli de symboles, de mythes, de croyances. L’Amérique avec ses peurs, l’Amérique avec ses folies, l’Amérique avec ses détritus se retrouvant partout, l’Amérique et son odeur de pourriture.
Mais surtout, il présente une héroïne fascinante qui a vécu l’horreur, qui tente de camoufler son drame intérieur, mais qui est rattrapée par ce qu’elle a vécu.
Je vous le recommande sans hésitation. Comme pour mes deux autres lectures de livres de Joyce Carole Oates, Mudwoman s’avère une lecture marquante,.
Avez-vous lu Mudwoman? Qu’en avez-vous pensé? Comment trouvez-vous cet article?
Bien à vous,
Madame lit
Mudwoman, traduit de l’anglais (États-Unis) par Claude Sebban
Joyce Carole Oates. Philippe Rey. 2022. 565 p.
ISBN : 978-2-84876-943-1
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Je n’ai pas lu Mudwoman, mais en ai d’autres d’elle que j’ai en attente de lecture dans ma bibliothèque et que je me réjouis de découvrir (mais je me force à alterner avec d’autres auteurs!). Encore un à ajouter à ma liste!
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Oui! C’est une autrice très prolifique. J’ai aussi beaucoup d’autres livres d’elle dans ma bibliothèque. Je fais comme toi, j’alterne. Merci!!!
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je suis bluffée par la force créatrice de Joyce Carol Oates qui arrive publier tant de livre avec des thèmes chaque fois renouvelés
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Je partage ton point de vue. Chaque fois, je suis éblouie par sa façon de se renouveler.
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il m’a marqué aussi tout comme les chutes et Blonde!
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On se comprend alors! Merci!
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Merci pour cette super chronique 😀
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Au plaisir!
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😉
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Tu m’as convaincue ! Et j’ai aussi Les chutes sur ma liste. J’essaierai d’en lire au moins un cet été à la faveur des Pavés et des Épais de l’été (il me semble qu’ils entreront dans cette catégorie).
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Les deux sont excellents! Il va falloir que tu vérifies pour le nombre de pages acceptables pour Les Pavés et des Épais. Celui que je viens de lire avait autour de 580 pages.
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Merci pour ce billet très enrichissant ! J’aime beaucoup Joyce Carol Oates, mais je n’ai pas apprécié tout ce que j’ai lu d’elle -elle est tellement prolifique !-, notamment ce Mudwoman, que j’avais trouvé peu subtil, sur la forme, comme si l’auteure martelait son propos, de peur que le lecteur ne le comprenne pas..
Ingannmic (https://bookin-ingannmic.blogspot.com/)
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Oui, mais il y a la folie, les rêves ou cauchemars, les personnalités de Meredith (Mudgirl/Mudwoman), etc. As-tu rédigé un article sur ton blog sur ce livre?
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Oui 🙂
https://bookin-ingannmic.blogspot.com/2015/01/mudwoman-joyce-carol-oates.html
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Super! Merci! J’irai te lire!!! 😀
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Une écrivaine dont l’univers ne me parle pas trop. J’j’ai lu un roman et un recueil de poésie d’elle et n’ai pas accroché. Mais ta présentation est très bien, bravo. Merci Nathalie et bonne journée !
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Merci Marie-Anne pour ton commentaire. Bonne fin de journée!!!
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Je garde moi aussi un souvenir fort de ce roman. J’apprécie beaucoup Oates mais je réalise grâce à ton billet que cela fait bien trop longtemps que je ne l’ai pas lue. Une erreur à réparer!
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Je comprends! Chaque fois, je me dis qu’il faut que je lise un roman d’elle car j’aime beaucoup ses univers. Merci!
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Oates est une autrice que j’ai beaucoup lu, et apprécié … Mais son oeuvre est gigantesque et parfois, je suis passée à côté, comme pour ce roman, peut-être trop symbolique et touffu pour moi. En tout cas, pour les épais de l’été, Oates est une bonne idée, et je n’ai pas encore lu Blonde que j’avais acheté il y a deux ans pour participer à ce challenge estival, alors ce sera peut-être pour cette année ?
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Je n’ai lu que trois romans d’Oates. Mais j’ai d’autres romans chez-moi d’elle. Blonde a été une excellente lecture. On ressent la fascination, la pitié, que ressent Oates pour Marilyn Monroe. Et l’incipit est inoubliable!
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Tu as vraiment un don pour décortiquer un roman, en faire voir toutes les facettes. Je vais lire ce texte…
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J’aime tellement la plume de Joyce Carol Oates. Une très grande autrice. Merci!
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