Le monde comme perte et l’art comme salut dans quelques romans de Réjean Ducharme; synthèse sous forme de tableau d’un travail que j’ai rédigé dans le cadre d’un cours donné par Mme Beaudet sur Réjean Ducharme.
Sujet du travail : Réjean Ducharme présente un univers déchiré entre le noir du monde et la pureté de l’art. Les personnages expriment la dualité : le monde comme perte et l’art comme salut.
Personnages ducharmiens | Monde comme Perte |
Univers = personnages marginaux, asociaux, qui tentent de se libérer, de se détacher des règles imposées par la société. Mille Milles (Le Nez qui voque), Bérénice (L’avalée des avalés), Bottom (Dévadé), André (Va Savoir), Johnny (Gros mots) on tous une vision particulière du monde.
Thème : description de l’univers et d’eux-mêmes = témoigne d’une difficulté de vivre qui s’étend jusqu’à l’horreur de vivre.
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«Tout le monde meurt ici. Mais en ce siècle pourri, en cette société galeuse, on ne peut se permettre d’avoir la bouche pleine de noire sans se faire remarquer». Le Nez qui voque, (1967), Paris Gallimard, coll. Folio, 1990, p. 46-47. |
Personnages = écrasés par le poids de l’existence. Monde = les enferme en eux-mêmes | « Tout m’avale. Quand j’ai les yeux fermés, c’est par mon ventre que je suis avalée, c’est dans mon ventre que j’étouffe. Quand j’ai les yeux ouverts, c’est par ce que je vois que je suis avalée, c’est dans le ventre de ce que je vois que je suffoque. Je suis avalée par le fleuve trop grand, par le ciel trop haut, par les fleurs trop fragiles, par les papillons trop craintifs, par le visage trop beau de ma mère. Le visage de ma mère est beau pour rien. S’il était laid, il serait laid pour rien. Les visages, beaux ou laids, ne servent à rien. On regarde un visage, un papillon, une fleur, et ça nous travaille, puis ça nous irrite. Si on se laisse faire, ça nous désespère. Il ne devrait pas y avoir de visages, de papillons, de fleurs. Que j’aie les yeux ouverts ou fermés, je suis englobée : il n’y a plus assez d’air tout à coup, mon cœur se serre, la peur me saisit. » L’avalée des avalés, Gallimard Collection folio, p. 9 (première page). |
Langage leur permet d’accepter la réalité en la déformant et en faisant des jeux de mots. | «Vive Kotex, les serviettes sanitaires sang-suelles. Hourra pour Wonder-Bra, ça met vos seins en évi-danse». L’hiver de force, (1973), Paris, Gallimard, coll. Folio, 1990, p. 63. |
Souffrance des protagonistes= Êtres blessés, ressentent un mal de vivre
Bérénice = révoltée Rémi = peine d’amour Mille Milles = refuse de vieillir Nicole et André = boivent pour trouver un sens à leur existence |
« Après deux Bloody Mary, ça vient tout seul, tu le sens, tu l’as : le sens de la vie c’est d’être soûl». L’hiver de force, (1973), Paris, coll. Folio, 1990, p. 169. |
Chaque personnage principal tente de s’évader, par le biais de l’alcool, de la télévision, de la sexualité, du désir de mort, de la drogue, de cette société de consommation qui rejette les valeurs fondamentales de l’homme. | «Si nous avons décidé de nous suicider, ce n’est pas à cause de l’argent; nous le reconnaissons, à notre grande honte. C’est à cause des hommes que je me suicide, des rapports entre moi et les êtres humains. Chaque être humain m’affecte; c’est l’affection : l’amitié, l’amour, la haine, l’ambition. […] Je me tue parce que je ne pourrais vivre que complètement seul et qu’on ne peut pas vivre complètement seul».
Le Nez qui voque, (1967), Paris, Gallimard, coll. Folio, 1993, p. 38. |
Monde comme perte = solitude des personnages
Personnages = rejettent une idéologie qui prétend l’expliquer et le refaire (la religion, la politique, l’érotisme). Cherchent à rejoindre beauté dans leur isolement |
«Ma solitude est mon palais. C’est là que j’ai ma chaise, ma table, mon lit, mon vent, mon soleil. Quand je suis assise ailleurs que dans ma solitude, je suis assise en pays trompeur». L’avalée des avalés, (1966), Paris, Gallimard, coll. Folio, 1991, p. 20. |
Personnages difficultés à communiquer avec l’extérieur. Personnages fuient les autres tout en cherchant à les rejoindre de diverses façons (téléphone, lettres ou discours imaginaire).Thème incommunicabilité = majeur dans l’univers ducharmien = perte des protagonistes | «Est-ce que ça t’atteint ou que ce n’est pas encore ça et que c’est pour ça que cette nuit encore tu ne dors pas dans mes bras?… Tu me manques à ce point que le vide à ta place a un poids qui se blottit contre moi, des mains qui me font frissonner ».Va savoir, Paris, Gallimard, coll. Blanche, 1994, p. 121-122. |
Afin d’assurer leur salut, les personnages doivent investir dans un ailleurs meilleur. | Art comme salut
«Tu l’as dit Mamie, la vie il n’y a pas d’avenir là-dedans, il faut investir ailleurs». Va savoir, Paris, Gallimard, coll. Blanche, 1994, p. 9. |
Personnages vont puiser dans l’art, la beauté qui doit meubler leur univers.Poésie marque l’univers ducharmien = elle propose une perception différente du monde.
Nelligan apparaît comme la voix ultime de l’enfance, il en devient le symbole+ l’anticonformiste |
«Émile le poète devenu fou à l’âge de devenir adulte, le poète qui s’enfermait la nuit dans les églises pour crier ses poèmes à la Vierge Marie». L’avalée des avalés, (1967), Paris, Gallimard, collé Folio, 1991, p. 203. |
Personnages de Ducharme cherchent à atteindre une certaine beauté par le biais de la poésie de Nelligan. Nelligan = médiateur entre l’intériorité + l’extériorité des personnages
Sa poésie = filtre du réel+ permet aux protagonistes de basculer dans un univers lyrique empreint de beauté. |
«On entend l’alcool tomber dans le grand verre rond. On n’entend rien. « Je rêve tout le temps aux vaisseaux des vingt ans, depuis qu’ils ont sombré dans la mer des étoiles » (Nelligan)». Le Nez qui voque, (1967), Paris, Gallimard, coll. Folio, 1993, p. 202. |
Nombreuses citations littéraires sont présentes dans l’univers ducharmien. Auteurs sont mentionnés (Colette, Sand, Balzac, Gide, Rimbaud, Lautréamont).
Personnages grâce aux mots des écrivains peuvent voyager dans un univers autre. |
« Balzac me ramène en Tourraine, dans un château où j’ai commencé à te perdre en t’imaginant dans les bras de Raïa ».Va savoir, Paris, Gallimard, coll. Blanche, 1994, p. 230. |
Protagonistes par le biais de la littérature peuvent rejoindre une pureté qui n’a pas encore été souillée par la société : l’imaginaire. Littérature peut-elle assurer le salut des personnages? Oui, lorsque l’émotion s’empare de ces derniers devant la magie de la poésie. | « C’est beau, Constance Chlore. C’est si beau. Dis encore : « Nous ne serons pas vieux mais déjà las de vivre ». L’avalée des avalés, (1966), Paris, Gallimard, coll. Folio, 1991, p. 204.
« Ce fut un grand vaisseau taillé dans l’or massif » . Je me ferme les yeux, et il me semble que sous mes pieds une mer roule des vagues plus hautes que des montagnes. Partir. Encore partir. Toujours partir ». L’avalée des avalés, (1966), Paris, Gallimard, coll. Folio, 1991, p. 229. |
A reblogué ceci sur Madame litet a ajouté:
Madame lit son analyse de Ducharme…
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superbe analyse…. j’ai retenu un des titres en ce début d’automne car il était percutant (du moins pour moi) « L’avalée des avalés », je pense que c’est via Babelio. ton étude renforce ma motivation…
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Je recommande certainement ce roman de Ducharme… il y a des allusions à Émile Nelligan, poète québécois, entre autres, dans ce récit. Il faudrait peut-être découvrir également sa poésie en même temps… petite suggestion, si vous ne la connaissez pas. Bien à vous.
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