Chère lectrice, Cher lecteur,
Parce que je suis d’un pays de neige, de froid, de poudrerie, pour vous présenter mes meilleurs vœux en ce temps des Fêtes, je vous offre une synthèse structurée autour d’une rêverie, celle de la neige dans quelques romans québécois. Je suis aussi peut-être nostalgique, car je ne peux voir la neige en ce moment… Je vais vivre un Noël vert… étrange au Canada.
La neige fait partie intégrante de notre imaginaire collectif. Elle peut être associée à différents signifiants. Pour amorcer cette synthèse, nous pouvons remarquer qu’elle suggère une rêverie tributaire de l’enfance. Qui n’a pas aimé s’amuser avec des flocons, bâtir des châteaux forts, faire des anges dans la neige? Les images dans les romans sont intimement rattachées à cette période insouciante. Ainsi, dans Kamouraska d’Anne Hébert, le lecteur assiste à une scène où la rêverie de la neige est ludique, enfantine.
George met une des robes du traîneau sur le dos de son cheval. Il vient vers moi. Sans un mot. Me prend dans ses bras. Nous roulons dans la neige. Dégringolons le talus en pente. Comme des enfants, couverts de neige. De la neige plein mon cou, dans mes oreilles, dans mes cheveux. Je mange de la neige. Son visage est glacé sur mon visage. La chaleur humide de sa bouche sur ma joue.
Hors d’haleine. Étouffés de froid et de rire. Nous nous asseyons au bord de la route. L’un de nous articule très lentement, entre deux respirations haletantes : « Antoine est un très méchant homme ». Je secoue mon bonnet sur mon genou, pour faire tomber la neige. Quelqu’un, en moi, qui ne peut être moi (je suis trop heureuse), pense très fort : » Nous irons en enfer tous les trois. » Mon amour m’embrasse. Il dit « qu’il m’aime plus que tout au monde ». Je lui réponds « qu’il est toute ma vie ».
Nous restons dans la neige. Couchés sur le dos. Regardons le ciel, piqué d’étoiles. Frissonnons de froid. Longtemps j’essaye de me retenir de claquer les dents. (p. 137)
Par le biais de la neige, les protagonistes retrouvent la joie de l’enfance, le jeu, la légèreté, l’innocence, la complicité. En ce sens, la neige soulève une douce rêverie enfantine et elle offre aux deux amoureux un lit blanc pour se retrouver…
Mais encore, la neige peut provoquer une rêverie reliée à l’attente. La blancheur de la neige camoufle une vie invisible, souterraine. Ainsi, dans Maria Chapdelaine, le grand classique de la littérature québécoise, l’incipit soulève cet élément dans l’esprit du lecteur. La neige semble devenir le symbole de la paralysie. Cette rêverie renvoie à l’attente du printemps.
«Ite missa est.» La porte de l’église de Péribonka s’ouvrit et les hommes commencèrent à sortir.
Un instant plus tôt elle avait paru désolée cette église juchée au bord du chemin sur la berge haute au-dessus de la rivière Péribonka, dont la nappe glacée et couvert de neige était toute pareille à une plaine. La neige gisait épaisse sur le chemin aussi, et sur les champs, car le soleil d’avril n’envoyait entre les nuages gris que quelques rayons sans chaleur et les grandes pluies de printemps n’étaient pas encore venues. Toute cette blancheur froide, la petitesse de l’église de bois et des quelques maisons, de bois également, espacées le long du chemin, la lisière sombre de la forêt, si proche qu’elle semblait une menace, tout parlait d’une vie dure dans un pays austère. (p.2)
Cette rêverie, puisqu’elle s’avère tributaire de l’attente, est indissociable du cycle des saisons. L’hiver apparaît comme la saison de la neige qui entraîne une difficulté de vivre, voire la mort. En ce sens, cette rêverie revêt un caractère particulier pour l’imaginaire. Comme le fait remarquer Gaston Bachelard dans son essai La terre et les rêveries du repos :
Le froid est, à notre avis, un des grands interdits de l’imagination humaine. Alors que la chaleur fait en quelque manière naître les images, on peut dire qu’on n’imagine pas le froid. Le froid cadavérique forme barrage pour l’imagination. Pour l’imagination, rien n’est plus froid qu’un cadavre. Il n’y a pas un au-delà du froid de la mort. Avant le venin, le serpent glace le sang dans nos veines. (p. 266)
À cet égard, dans les romans québécois ou dans la poésie québécoise, la neige est associée au froid, à la glace, donc à la mort. Elle déclenche une rêverie qui soulève une difficulté de vivre. Par ailleurs, dans sa nouvelle «Un vagabond frappe» tirée d’Un jardin au bout du monde, Gabrielle Roy présente une rêverie de la neige l’illustrant très bien.
Il neigea le soir, le lendemain aussi, puis toute une autre journée encore. Alors la poudrerie s’éleva. On entendait les coyotes aventurés jusqu’aux portes des granges se disputer en hurlant le cadavre de quelque lièvre blanc tombé dans leur embuscade. Parfois, au grondement qui secouait la niche de Farouche, on déduisait qu’un grand loup rôdait autour de la maison. Des souffles puissants balayaient la plaine, poussaient la neige vers les écuries, les hangars, tous les bâtiments de la ferme qui demain seraient à moitié ensevelis. On voyait la neige accumulée déjà à la hauteur des fenêtres. Soudain une rafale s’y jetait comme pour chercher à éteindre par-delà la vitre le feu de la lampe, ce dernier signe encore visible de la vie luttant contre la passion déchaînée du blizzard. (p. 40)
Le même exemple peut être remarqué dans Adagio de Félix Leclerc. La description de la nature provoque une rêverie morbide.
Les pins de la forêt, plus grands que les bouleaux, voyaient dans le nord la bourrasque s’avancer. Serrés les uns contre les autres, les pins mêlaient leurs cheveux pour protéger les arbres plus petits. C’était décembre. Décembre, le mois des bourrasques, apportant le père Noël et son sac plein de jouets, de surprises, de rubans, de souhaits; apportant aussi le père Hiver et son sac plein de maladies, de rafales, de froidures et de tristesse.(p. 29)
La poudrerie, la rafale (mélange de vent et de neige) déclenche un autre type de rêverie, une rêverie associée à la destruction. La neige est en mouvement. Ce vent mêlé de neige poursuit qui? Poursuit quoi? L’homme doit se protéger du froid, de la neige qui balaie tout sur son passage et modifie le paysage.
Dans Agaguk d’Yves Thériault, nous pouvons percevoir ce type de rêverie liée à la transformation. La neige devient négation de la vie sur terre et propose son propre ordre. Elle s’avère agressive pour modifier l’ordre des choses.
-Demain, la neige viendra.
Et au matin suivant, en effet, la neige vint. Une rafale de vent, une poussée terrible. Le neige accourut du nord, se mêla à ce vent. Ce fut un mur blanc, fluide qui fonça sur le monde. Puis tout fut enveloppé par les brins denses, gelés, pétant sec sur la peau comme des pois chiches. Contrairement à l’accoutumée, tout fut couvert en quelques heures, enfoui. Quand le vent cessa et que revint le soleil pâle, trois jours avaient passé.
La toundra était redevenue la plaine de neige, l’immensité polaire. Sept mois de misère commençaient, tant pour les bêtes affolées et affamées, que pour les hommes qui auraient à survivre dans cette nature hypocrite. (p. 50)
De surcroît, la neige semble créer une rêverie de la mélancolie. Émile Nelligan, dans son célèbre poème «Soir d’hiver», clame son ennui provoqué par la neige :
Soir d’hiver
Ah! Comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! Comme la neige a neigé!
Qu’est-ce que le spasme de vivre
Ô la douleur que j’ai, que j’ai!Tous les étangs gisent gelés,
Mon âme est noire : Où vis-je, où vais-je?
Tous ses espoirs gisent gelés.
Je suis la Nouvelle Norvège
D’où les blonds ciels s’en sont allés.Pleurez, oiseaux de février,
Au sinistre frisson des choses,
Pleurez oiseaux de février,
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,
Aux branches du genévrier.Ah! comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! comme la neige a neigé!
Qu’est-ce que le spasme de vivre
À tout l’ennui que j’ai, que j’ai!…
Ce poème s’avère magnifique, mais en même temps, il frappe l’imaginaire, car la neige engendre dans l’esprit du lecteur une bien funeste rêverie. La neige devient une source gelant le devenir du poète; elle semble engendrer un vide existentiel…
Pour terminer cette rêverie sur une note plus positive, la neige peut être rattachée à la beauté. Elle suggère une rêverie comme nulle autre en raison de sa blancheur, de sa pureté. Elle propose un retour à un état originel. Dans Revenir de loin, Marie Laberge décrit la région de Charlevoix en hiver. La rêverie de la neige apparaît alors belle, liée à la splendeur de la nature.
De l’autre côté de Baie-St-Paul, sur le belvédère qui surplombe le fleuve et l’île aux Coudres, Jean-Louis sort la chaise roulante, afin que Steve puisse «aller voir pour de vrai». Le vent est puissant, le soleil oblique d’hiver descend vite, éclairant les champs blanchis et la baie ses derniers rayons.
Tendu vers le paysage, hissé sur sa chaise, Steve contemple l’immensité devant lui, muet d’émerveillement. La marée est fine haute, et ils assistent à l’un de ces couchers de soleil délirants qui annoncent une nuit glaciale. (p. 448)
Donc, à travers la rêverie de la neige, nous pourrions chanter comme Gilles Vigneault : «Mon pays ce n’est pas un pays c’est l’hiver».
J’espère que vous avez apprécié cette petite synthèse autour de la rêverie de la neige…Elle aurait pu être beaucoup plus longue, car il y a beaucoup à dire sur ce sujet….
En cette saison et en ce temps de l’année, je vous souhaite du plus profond de mon cœur, chère lectrice, cher lecteur, un très joyeux Noël.
À votre manière, vous aidez à façonner la beauté de ce monde…
Pourriez-vous mentionner d’autres extraits provoquant une rêverie de la neige?
Connaissez-vous les romans présentés?
Bien à vous,
Madame lit
Bachelard, Gaston (1992). La terre et les rêveries du repos; essai sur les images de l’intimité, Mayenne, José Corti, 339 p.
Hébert, Anne (1982). Kamouraska, Saint-Amand, Éditions du Seuil, coll. Points, 250 p.
Hémon, Louis (2008). Maria Chapdelaine, Saint-Laurent, ERPI, coll. Littérature, 166 p.
Laberge, Marie (2010). Revenir de loin, Montréal, Boréal, 615 p.
Leclerc, Félix (1976). Adagio, Montréal, Éditions Fides, coll. du Goéland, 157 p.
Roy, Gabrielle (2004). Un jardin au bout du monde; nouvelles, Cap-Saint-Ignace, Boréal compact, 177 p.
Thériault, Yves (1993). Agaguk, Paris, France Loisirs, 270 p.
Très jolie synthèse autour de la neige! J’ai pris plaisir à découvrir ces extraits de romans que je ne connais pas du tout, merci. Les auteurs me sont tous inconnus, à part Gaston Bachelard dont l’oeuvre fut une grande source d’inspiration pour mes deux mémoires… Je te souhaite de passer très belles fêtes de fin d’année, même sans neige ! 🙂
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Merci!!! Ce sont d’excellents romans. Je suis bien contente de les avoir présentés. Encore une fois, je te souhaite de très belles Fêtes! 🙂
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Merci! 🙂
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Pour vous Madame Lit.
En écho à votre rêverie de la neige !
Un poème d’enfance retrouvé sur le net.
On s’éveille
du coton dans les oreilles
une petite angoisse douce
autour du cœur, comme mousse ;
C’est la neige,
l’hiver blanc
sur ses semelles de liège
qui nous a surpris, dormant.
Guy-Charles Cros
À très bientôt M.B.
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Merci pour cette surprise! Au plaisir M. B. 🙂 Mes meilleurs vœux autour d’une douce rêverie…
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Sujet très interessant en effet, où l’on se rend compte que la neige et l’hiver évoquent beaucoup de choses différentes, de l’enfance à la mort, c’est véritablement tout un thème de réflexion !
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J’ai dû me limiter car nous pourrions rédiger une thèse de doctorat! C’est effectivement un sujet intéressant.
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Qu’il est chouette cet article !
Et me voilà nostalgique de la neige…. j’en rêverai ! Ces fêtes, sans ces flocons… c’est moins féérique 😦
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Je comprends… Il manque cette féérie; il pleut ici :(. Et moi qui suis une fille d’hiver! C’est quelque chose…
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En effet, belle dissertation. On fait dans le blogue sérieux, fouillé, recherché.
Étant québécoise, je connais tous ces auteurs, sauf Gaston Bachelard. Merci pour me l’avoir fait découvrir.
On se souhaite un hiver de neige et de givre, À défaut, un hiver de livres, ce serait très bien, quant à moi!
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Oui, à défaut d’être euphorique avec la neige, soyons-le avec de beaux livres! Merci pour votre commentaire. Il me touche… Joyeux Noël!
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J’ai un peu tardé pour répondre à ce dernier à propos,, sortant de mon habitude à réagir dans la foulée, je sais pourquoi. Le froid, la neige, la glace m’étant viscéralement opposés, Je suis signe de feu, homme de Sud, naturellement attiré par les horizons de climat solaire. Ainsi j’ai parcouru le monde, en n’étant jamais allé dans ton pays, où pourtant j’ai eu de la famille..Ceci étnt, j’ai énormément apprécié ce travail, l’analyse que tu en as faite m’attirant une fois encore, sans que mon instinct sudiste ait été contradicteur.
Tu tapes juste, et réussis à faire venir à ton travail en toute objectivité objectivité, sans choix ou refus du lecteur que je suis, dictés par des inclinations personnelles. Voilà où je dis Madame lit comme on sait peu le faire.
Je concluerais par la reprise du passage où, de fait, tu expliques clairement la raison de l’attrait ou de l a non-attirance du froid.
« …Le froid est, à notre avis, un des grands interdits de l’imagination humaine. Alors que la chaleur fait en quelque manière naître les images, on peut dire qu’on n’imagine pas le froid. Le froid cadavérique forme barrage pour l’imagination. Pour l’imagination, rien n’est plus froid qu’un cadavre. Il n’y a pas un au-delà du froid de la mort. Avant le venin, le serpent glace le sang dans nos veines. (p. 266)
À cet égard, dans les romans québécois ou dans la poésie québécoise, la neige est associée au froid, à la glace, donc à la mort. Elle déclenche une rêverie qui soulève une difficulté de vivre. Par ailleurs, dans sa nouvelle «Un vagabond frappe» tirée d’Un jardin au bout du monde, Gabrielle Roy présente une rêverie de la neige l’illustrant très bien. »
Merci pour le plaisir trouvé à te suivre. Bonne soirée Madame lit.
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Merci beaucoup Loisobleu… Je suis bien contente également de suivre ton blogue et je te souhaite une belle soirée. Par curiosité, connais-tu la poésie d’Émile Nelligan?
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Non, « pas de près » pour en parler, je ne connais pas Émile Nelligan. Moi aussi je te souhaite une soirée où le froid à sa place, attise la chaleur interieure❤️
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Je crois que c’est un poète qui pourrait te plaire…
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C’est avec envie que je vais aller à sa découverte.
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J’ai bien hâte de connaître vos impressions!
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Alors sans besoin de placer le sabot au bord des chenets, imagine que j’ai en vie de laisser un masque indonésien me tenir au soleil pour te préparer en offrande, mes impressions premières sur l’Emile, juste le temps de me faire des moustaches de phoque Madame lit.
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Je ne connais pas tous ces livres présentés et la rêverie de la neige me laisse pantoise.
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Merci pour ce commentaire et je peux comprendre votre émotion par rapport à la neige. J’espère que vous avez apprécié, du moins, avoir un aperçu d’une thématique importante en littérature.Cordialement et au plaisir!
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J’ai apprécié car je ne connaissais pas cette thématique en littérature. A part quelques livres comme Amarok qui se passe dans le grand nord, je n’ai pas souvent eu affaire à la neige dans mes lectures.
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J’ai pris du retard dans mes réponses… 🙂 Je ne connais malheureusement aucun des livres que tu cites si bien. Je n’ai pas d’extraits à te proposer, mais le titre d’un roman que tu as peut-être déjà lu… Il s’agit de : « Pays de neige » de Kawabata. Joyeux Noël à toi et bon année ainsi qu’aux tiens.
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Merci beaucoup pour ce titre « Pays de neige ». Je ne connais pas ce livre… Je te souhaite, ainsi qu’à tes proches, de très belles Fêtes! La neige devrait s’en venir dans les prochains jours (un bon 30 cm). Au plaisir!
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